mercredi 7 février 2018

L’école de la réussite


Victor Ginsburgh

Décidément, mes collègues économistes sont bien actifs à écrire sur les problèmes importants de notre société. Il y a quelques semaines, Mathieu Lefèvre et Pierre Pestieau (Université de Liège) publiaient leur livre sur l’Etat-providence (1), et à peu près au même moment, Jean Hindriks (Université catholique de Louvain) et Kristof De Witte (KU Leuven) s’attaquaient, dans les articles d’un ouvrage collectif intitulé L’école de la réussite (2), au problème des différences des modèles d’enseignement et des résultats obtenus dans les deux communautés linguistiques belges. Ceci les différencie de nombreux autres écrits dans ce domaine. Les points qu’ils abordent ont plutôt trait à l’organisation de l’enseignement qu’à ce qui est enseigné. Ils sont économistes et pas éducateurs. Mais je m’en voudrais de ne pas revenir brièvement sur ce point plus loin.  

Tout en étant centré sur la Belgique, et contrairement à d’autres analyses, l’ouvrage souligne les différences importantes entre l’enseignement en Flandre et en Wallonie Bruxelles (et on se doute bien où cela nous mène), et compare la Belgique (unie !) au reste des pays de OCDE. De façon générale, la Belgique n’en sort pas toujours grandie (3). En voici quelques exemples qui devraient vous inciter à lire l’ouvrage (4).


Les pays où la mobilité sociale à l’école est grande, sont aussi ceux où les inégalités entre écoles sont moins importantes. Tout en ne sachant pas où est la cause et où est l’effet, la Belgique traîne très sérieusement la patte en la mauvaise compagnie de la France, de l’Allemagne et de la Hongrie.

La discussion sur la ségrégation sociale dans les écoles fait l’objet de polémiques incessantes. Il n’en reste pas moins que les pays qui promeuvent l’inclusion sociale, sont aussi ceux dont les élèves défavorisés socialement réussissent le mieux. En Belgique, les enfants de milieux modestes ont deux fois moins de chance de réussir que ceux des milieux favorisée (p. 59), mais pour chaque niveau socio-économique, l’élève flamand obtient, en moyenne, de meilleurs résultats que l’élève francophone. Et les auteurs de conclure avec raison que « la supériorité de l’école flamande sur l’école francophone se confirme dans l’analyse du lien social » (p. 65) et, oserai-je ajouter, dans d’autres niveaux également comme on le verra.

Plus de moyens devraient être consacrés au décrochage scolaire c’est-à-dire, aux adolescents qui ne terminent pas leurs études secondaires et n’en poursuivant pas d’autres. Le taux moyen est de 9%, mais la Flandre, une fois encore, fait mieux, avec 6,8% contre 10,3% en Wallonie et 14,8% à Bruxelles (p. 89). Le taux a diminué dans toutes les régions entre 2000 et 2016 et est tombé, en moyenne, de 14 à 9% entre 2000 et 2016.  Il est aujourd’hui comparable aux taux de nos voisins français et néerlandais. Les études faites aux Pays-Bas et au Canada montrent que les moyens financiers investis pour lutter contre ce décrochage ont un « retour sur investissement » de 600 à 800% ! (p. 113). Il serait donc temps que la Belgique s’intéresse davantage à détecter le décrochage, d’autant plus que les coûts psychologiques supportés par ceux qui décrochent, et dont il n’est sans doute pas tenu compte dans ce calcul, sont d’une importance considérable.

Faut-il munir les élèves de certaines connaissances financières ? Oui, disent les auteurs, et dans ce domaine, la Belgique se situe dans la bonne moyenne dans l’OCDE, mais il y subsiste des inégalités plus fortes liées à des différences socio-économiques que dans d’autres pays.
Et puis une réponse qui me paraît sage et qui devrait faire réfléchir nos universités. « Le fait de rendre les formations davantage axées sur le marché du travail peut contribuer à réduire l’inadéquation en début de carrière, mais implique aussi des dangers évidents » (p. 148). C’est donc, suggère ce chapitre sur la transition vers l’emploi, en début de carrière, et lorsque la conjoncture économique est défavorable, qu’il faut « prêter une attention particulière et durable aux élèves qui terminent leurs études » et pas cinq après.

L’ouvrage dirigé par De Witte et Hindriks aborde un thème qui détermine notre avenir commun. Il touche les jeunes aussi bien que les moins jeunes qui liront ce texte, parce que le bonheur de ces derniers dépend (en partie en tout cas) de ce que pourra leur fournir l’état-providence abordé par Lefèvre et Pestieau (1). Et ce qui leur sera fourni dépend du bonheur de ceux qui sont jeunes aujourd’hui.

Mais il est sans doute temps de conclure par ce qui se débat entre édiles politiques de l’enseignement en Belgique francophone, où grec et latin (5), sans parler du néerlandais en Wallonie, disparaissent de l’école, de même qu’une partie du français puisque « le passé simple ne s'apprend plus qu’aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel et la littérature jeunesse se lit de plus en plus au présent et au passé composé » (6). J’en termine par ce texte saisissant d’Ascanio Celestini (7), qui pourrait résumer ce qui est en train de se produire. En espérant qu’il ne contient pas de passé simple, autre qu’à la troisième personne :

« Dans ce petit pays, il y avait une petite école.
Les enfants avaient des tas de maîtres …,
mais le petit gouvernement
estima que cette multitude d’enseignements
créait de la confusion.
Il fut décidé d’éliminer les maîtres
qui enseignaient des matières non indispensables.

On licencia par exemple
l’enseignant de langues étrangères,
On licencia aussi l’enseignant de littérature,
parce que la littérature ça ne fait rien que casser les c…,
la preuve c’est que si les gens lisent le soir
c’est juste pour s’endormir.
On licencia le maître de mathématiques et de physique,
de biologie et de chimie, et même le prof de gymnastique.

Au bout du compte on estima qu’il valait mieux
ne laisser qu’un seule matière
afin de ne pas confondre les idées des élèves ».


(1) Mathieu Lefèvre et Pierre Pestieau, L’Etat-providence : Défense et Illustration, Paris : Presses Universitaires de France, 2017.
(2) Kristof De Witte et Jean Hindriks, L’école de la réussite, Gand : Itinera, 2017.
(3) Je ne peux m’empêcher de penser à Robert Deschamps (Université de Namur), et à ses propos souvent très brutaux mais toujours très justes sur l’enseignement dans la communauté francophone de Belgique. Voir notamment http://www.enseignons.be/2014/07/06/robert-deschamps-il-faut-changer-le-mode-de-fonctionnement-actuel/
(4) L’ouvrage peut être commandé en ligne sur le site
(5) Voir les réactions de Vinciane Pirenne, professeure à l’Université de Liège, qui vient d’être reçue au Collège de France et y occupe une chaire à la suite de Champollion, Claude Lévi-Strauss et Yves Coppens. Eric de Bellefroid, Il faut maintenir le latin et le grec à l’école, Le Vif, 25 janvier 2018.
(6) Emile Trevert, La fin du passé simple, c’est la perte d’une nuance de l’esprit, Le Point, 19 décembre 2017.
(7) Ascanio Celestini, Discours à la nation, Paris : Ntabilia, 2014.


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