jeudi 1 février 2018

Faut-il interdire d’exposer et de publier les œuvres des « he too » ?


Victor Ginsburgh

Le "he too" photographié par Chick Close
Chuck Close, le célère artiste américain est aussi un « he too ». Une exposition de ses œuvres (souvent des portrais photographiques) était prévue à la National Gallery of Art à Washington, mais a été postposée indéfiniment parce qu’il est accusé de harcèlement sexuel. Je comprendrais qu’on n’expose pas les nouvelles créations de Close, ou, en tout cas, qu’on ne l’invite plus aux vernissages de ses éventuelles expositions, mais le reste soulève évidemment une série de questions que je suis loin d’être le premier à poser. Marcel Proust l’a tellement mieux fait dans son Contre Sainte-Beuve (1) : Faut-il séparer, au nom de l’art, l’œuvre de la personne qui l’a produite ou non ?

(a) Faut-il arrêter de lire Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir parce que cette dernière présentait à Sartre des jeunes filles avec lesquelles il pouvait faire l’amour, même s’il n’y avait probablement pas harcèlement ? Faut-il arrêter de lire Sade parce qu’il droguait des jeunes filles (et probablement des jeunes garçons) pour assouvir certains de ses caprices ? Peut-on encore lire Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, qui s’est avéré être un antisémite forcené et qui était probablement lié à des services de renseignements nazis (2) ? Faut-il interdire, comme on en parle aujourd’hui, de republier les œuvres antisémites qui ont suivi le Voyage ?


(b) Serait-il justifié de retirer les œuvres de Sartre, Sade et Céline des bibliothèques et des librairies ? Que vont faire les musées des œuvres de Picasso, bien connu pour sa « galanterie » un peu appuyée, d’Egon Schiele, ce peintre magnifique mais qui lutinait les jeunes filles qu’il peignait, du lumineux Caravage parce qu’il était un assassin?

Clinton photographié par le "he too"
Il est vrai que les œuvres  pourraient être davantage contextualisées, ce qui est précisément le cas pour un portrait photographique de Clinton par Chuck Close exposé à la Portrait Gallery à Washington. Un cartel accompagne l’œuvre sur lequel on peut lire : « Le fait que Clinton a nié sa relation sexuelle avec une stagiaire de la Maison Blanche, alors qu’il déposait sous serment, a conduit à sa mise en accusation. Il n’a cependant pas été condamné par le Sénat » (3). Il faudra maintenant ajouter quelques mots sur celui qui a fait la photographie…

Je comprends parfaitement que l’on condamne les personnages odieux que sont les « he too », mais faut-il condamner leurs œuvres ? Je comprends aussi que les acteurs qui ont travaillé avec Woody Allen prennent distance, mais faut-il ne pas montrer son dernier film ? L’article du New York Times que j’ai cité plus haut conclut par une phrase du directeur de l’Art Institute of Chicago (qui possède bien évidemment des Chuck Close dans ses collections) :

« La question est : Quelles sont les décisions qui nous placent du bon côté de l’histoire ? »

Et, ai-je envie d’ajouter : « Quel est le bon côté de l’histoire ? »


(1) Mon co-blogueur Pierre a souvent évoqué cette question dans ses textes.

(2) Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, Céline mis à nu, 20 février 2017


(3) Robin Pogrebin and Jennifer Schuessler, Chuck Close is out at the National Gallery of Art. Is Picasso next?, The New York Times, January 28, 2017.

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