jeudi 1 décembre 2016

Retraites: débat d’idées et réalités changeantes

Pierre Pestieau

Il y a au moins quarante ans que l’on se préoccupe de l’avenir des systèmes de retraite dans la plupart des pays européens et que l’on parle de reformes nécessaires pour assurer leur pérennité et éviter que les générations à venir doivent payer pour l’incurie présente. En attendant, le temps passe et les générations futures deviennent les générations présentes. Il peut être intéressant de refaire un peu d’histoire des faits et des idées en matière de retraites.

Apres la seconde guerre mondiale, les nations européennes se trouvaient avec des caisses vides et des personnes âgées sans ressources. Il fut alors décidé d’instaurer un système de retraite par répartition, entendant par là que les retraites étaient financées par les cotisations des actifs. C’était la bonne solution mais elle impliquait une dette sur l’avenir. Il n’y a pas de déjeuner gratuit (There is no free lunch). Ces premières retraites avaient une série de caractéristiques qui perdurent encore partiellement aujourd’hui. Elles étaient financées conjointement par l’employeur et l’employé. Elles étaient à prestations définies, entendant par là que quelque soit la conjoncture le retraité s’attendait à recevoir une fraction constante de ses revenus d’activité. Elles comprenaient un âge cible de départ à la retraite (typiquement 65 ans) qui au début était au dessus de l’âge moyen auquel on mourrait et qui aujourd’hui est bien en–deçà. Enfin, les systèmes de retraites étaient publics, ce qui n’excluait pas que les retraités les plus aisés puissent aussi vivre de leur épargne.


Il est clair que dans la décennie qui a suivi la guerre, la réalité économique et sociale était très différente que celle que nous connaissons aujourd’hui. On se préparait à entrer dans le période faste des trente glorieuses et on ne parlait pas encore de vieillissement. Les problèmes commencèrent avec la fin de cette période et la première crise pétrolière. Bien que dans la plupart des pays les systèmes de retraite ne cessaient de progresser, ils entraient dans leur maturité, et commencèrent à connaître plusieurs difficultés dues à la fois à la réalité économique et démographique changeante mais aussi à l’apparition d’une idéologie sans doute plus libérale.

La baisse de l’épargne qui fut particulièrement manifeste aux Etats Unis emmena plusieurs économistes à souhaiter l’abandon du régime de répartition au bénéfice d’un régime de capitalisation et à recommander la privatisation en tout cas partielle des systèmes de retraite. Cette tendance persista longtemps mais perdit de son acuité pour deux raisons. D’abord on réalisa que la transition de la répartition à la capitalisation impliquait le sacrifice d’une génération si elle devait être opérante ; or ce sacrifice n'était pas politiquement acceptable. Ensuite, les différentes crises boursières refroidirent ceux qui croyaient en la manne céleste dont la capitalisation devait nous faire bénéficier.
Même si la critique à l’encontre du principe de répartition s’est progressivement calmée, l’augmentation du taux de dépendance, à savoir le rapport entre personnes âgées et personnes actives, et la crise des finances publiques ont mis les gouvernements en difficulté. C’est ainsi que s’est développé le secteur des pensions privées dont les caractéristiques sont la capitalisation, l’absence de redistribution (équité actuarielle) et un modèle à contributions définies.

Les systèmes publics sont naturellement à prestations définies et même certaines pensions privées obligatoires, telles que les néerlandaises, ont cette caractéristique.  Cela a pour implication que tout le poids des risques financiers et démographiques tombe sur les actifs. Le passage à des systèmes à contributions définies déplace les risques sur les retraités.

On observe une nette tendance dans cette direction dans les systèmes privés mais aussi dans les systèmes publics avec l’introduction des comptes notionnels de retraite et pour conséquence la fragilisation de la condition des retraités.

Il fut un temps où la durée de la retraite pour un travailleur moyen était minime. Beaucoup mouraient avant d’avoir pu bénéficier de leurs droits. Avec l’allongement rapide de la vie, cela a beaucoup changé et on a, dans certains pays, des durées de retraites qui tournent autour de 17 ans. Dans les deux cas ce sont des moyennes et aujourd’hui encore, certains ne peuvent pas profiter de leur retraite alors que d’autres ont une retraite plus longue que ne fut leur vie active.

Une autre évolution récente est la modification du marché du travail avec une réduction de la fraction des travailleurs qui ont un contrat salarial à durée indéterminée. Cela pose des problèmes pour les systèmes de retraite qui initialement s’appuyaient ce type de contrat, et étaient financés par des cotisations patronales et salariales, gérés paritairement. Avec la croissance des vrais et faux indépendants et la précarisation du salariat, les systèmes de retraite s’éloignent de ce modèle que l’on a parfois qualifié de Bismarckien.

A quoi faut-il s’attendre et que faut-il espérer dans ces conditions ? La part relative du public va s’amenuiser et il est souhaiter qu’elle inclue un socle de base qui assure un minimum de revenus à tout retraité. L’âge de départ à la retraite va progressivement augmenter et il est à souhaiter que certaines professions particulièrement pénibles échappent à cette hausse inéluctable. Les retraites publiques seront de plus en plus à contributions définies et on peut espérer que le socle de base dont il vient d’être question protège les retraités des fluctuations démographiques et économiques. L’avenir est incertain et il dépendra de deux facteurs : le taux de croissance de nos économies et la cohésion dont feront preuve nos sociétés.

Une remarque pour terminer.  Que de fois dois-je entendre une phrase du type « Quand on sera en âge de cesser toute activité, il n’y aura plus de retraite pour nous ». Cette phrase est irritante parce qu’elle est fausse et qu’elle peut, en outre, contribuer à démotiver les gens à se battre pour la pérennité du système. Elle vient souvent de personnes qui proviennent de la classe moyenne supérieure et qui anticipent qu’une fois retraités, l’essentiel de leurs revenus viendra du secteur privé. Mais il ne faut pas oublier la fraction de la population qui au moment de la retraite ne dispose pas de la moindre épargne.



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