mardi 6 décembre 2016

Les nouvelles dames patronnesses


Pierre Pestieau

On distingue généralement trois vecteurs de protection sociale : le marché, la famille et l’Etat. Leur rôle varie au cours du temps et selon les pays. Il varie aussi selon les risques. Pour la perte d’autonomie, la famille domine ; pour les retraites c’est l’Etat ou le marché selon les pays. Outre ces trois vecteurs, il en existerait un quatrième qui a nom charité et qui nous ramène aux dames patronnesses de Jacques Brel, ces femmes qui naguère s'occupaient des œuvres sociales et du patronage d'une paroisse. Dans la foulée de Bush aux Etats Unis et de Cameron en Angleterre, est apparue l’idée que l’Etat pourrait, dans une partie de ses missions, céder la place aux œuvres caritatives, laïques ou religieuses. Cette idée a été formalisée en une philosophie politique appelée conservatisme compassionnel et rassemblant des gens qui croient en la mise en œuvre de techniques et concepts conservateurs pour améliorer le bien-être général de la société en dehors de la sphère publique.


Alors que le conservatisme compassionnel a été longtemps une spécialité anglo-saxonne, il semble envahir progressivement les esprits de la vieille Europe. On entend régulièrement louer l’efficacité des fondations et des événements caritatifs à remplir des missions que l’Etat n’est plus capable d’assumer. Ces missions dépassent le champ du social et s’étendent notamment à la recherche et aux arts. Ces actions frappent les esprits et font souvent l’objet d’une large couverture médiatique. C’est par définition le cas du téléthon et autres événements du genre, mais c’est aussi le cas des interventions de fondations telles que Caritas ou Emmaüs.

Loin de moi l’idée de déprécier ce type d’initiatives mais de là à penser qu’elles puissent un jour se substituer à la protection sociale il y a un pas qu’il ne faut surtout pas franchir pour plusieurs raisons. D’abord, elles sont le plus souvent ciblées sur certains groupes ou événements particuliers. De ce fait, elles n’ont pas l’universalité et la neutralité que l’on attend d’une protection sociale digne de ce nom. Ensuite, en volume, elles ne représentent que très peu en comparaison avec les différents programmes sociaux de nos Etats providence. Cela n’est pas surprenant. La théorie économique nous enseigne que si les missions traditionnelles de l’Etat étaient financées par des contributions volontaires elles le seraient à un niveau ridiculement bas. C’est une conséquence du phénomène du passager clandestin : dans ce jeu de contributions volontaires chacun compte sur les autres et pense ainsi échapper à l’effort qui lui est demandé.

Une troisième raison est que le citoyen dans le besoin ne demande pas la charité mais une assistance qui lui revient de droit de par son appartenance à la collectivité.

Ajoutons à ces trois raisons le fait que les donations charitables bénéficient de fortes réductions fiscales, qui représentent un manque à gagner pour l’Etat. Ces avantages peuvent se défendre pour des activités dont l’utilité sociale est évidente, comme par exemple les Restos du Cœur. Dans de nombreux cas, leur existence ne se justifie pas. On peut encourager les donations sans que cela ne nécessite la création de niches fiscales.

Concluons avec un adage d’origine anglaise : Charité bien ordonnée commence par soi même,

qui résume éloquemment le fait que les principaux bénéficiaires de la charité sont ceux qui la font : ils en tirent une image positive, ils bénéficient de cadeaux fiscaux et gardent le plus souvent le contrôle des œuvres auxquelles ils contribuent.

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