jeudi 3 novembre 2016

Voilà pourquoi il fallait déconstruire et sans doute rejeter le CETA

Victor Ginsburgh

Quand je pense au CETA, ce magnifique traité dit « de nouvelle génération », je pense aussi aux plantations de pyrèthre de mon enfance, qui étaient tellement belles quand elles fleurissaient et dont les fleurs sentaient tellement bon quand elles sortaient du séchoir et étaient moulues. Ces plantations, dans les montagnes au nord du Rwanda où je suis né, ont été détruites suite à l’utilisation du DDT, un insecticide chimique qui a ruiné les cultivateurs de l’innocente pyréthrine naturelle, et qui s’est révélé, quelques années plus tard, comme étant un produit tellement nocif qu’il a été interdit. Mais trop tard. On est aujourd’hui confronté au même problème avec le Roundup de Monsanto que la Commission Européenne renâcle à interdire (interdit en France, il continue cependant d’y être disponible). C’est payé combien par les lobbies ?


Je pense aussi à nous qui avons incité, voire imposé à l’Afrique subsaharienne d’éradiquer ses forêts pour les remplacer par des plantations de cacahuètes qui allaient rendre les nègres—c’est ainsi qu’ils étaient appelés—riches, parce que tout l’Occident bouffait des cacahuètes, y compris dans les avions où elles étaient gratuites, tellement elles valaient peu en termes de salaires des ouvriers agricoles (nègres) qui les produisaient. Et ces terres africaines se sont changées en terres mortes. Trop tard, mais on s’en fout de l’Afrique et de ses forêts.

Ou encore nous, qui incitions, voire imposions à ces « primitifs » indonésiens et malais de planter des palmiers à huile pour « assurer leur fortune », et surtout permettre à nos industriels de fabriquer tous les biscuits et autres « nourritures » plus innommables les unes que les autres que nous, occidentaux, allions grignoter. Et pour lesquels une partie des forêts indonésiennes ont été brûlées faisant place aux palmiers et provoquant la disparition des orangs outans dont c’était le territoire. Trop tard, mais on s’en fout de l’Indonésie et de ses orangs outans.

Et aujourd’hui c’est la misérable Commission Européenne qui impose avec force et presque violence le CETA à l’Europe, en attendant qu’arrive le TTIP. Après l’assassinat de la Grèce, elle emm… le reste de l’Europe en imposant un traité qui va soi-disant nous enrichir, mais surtout enrichir les multinationales, comme l’ont été les producteurs du DDT, du Roundup et ceux qui font le commerce des cacahuètes et de l’huile de palme. Trop tard, l’Europe est devenue une administration lobbyisée et lobotomisée qui se fout de ses propres citoyens.

Bien sûr, il y aura des gagnants, ceux qui pourront mieux magouiller, comme pour le DDT, le Roundup, les cacahuètes, l’huile de palme et les tracteurs Caterpillar qui s’en vont ailleurs pour être produits à moindre coût. Mais on oubliera, comme chaque fois, de compenser les perdants.

Mensonge après mensonge…

Alors qu’il faudrait des investissements publics, mais que les Etats en sont empêchés parce qu’un fonctionnaire idiot de la Commission a inventé la règle du 3% maximum de déficit public. Alors qu’il faudrait aider les immigrants, surtout parce que la dignité humaine l’impose, mais aussi parce qu’ils nous aideront quand nous les aurons intégrés correctement (1).

Et ce n’est pas Louis Michel, ancien commissaire européen et aujourd’hui député européen qui me convaincra par son apologie du CETA : « Je pense que [ceux qui s’opposaient] ont atterri enfin et sont sortis de cette stratégie de la diabolisation, de l’utilisation un peu sordide de la peur. L’histoire nous montrera que nous [c’est-à-dire, lui] avions raison » (2). Pas plus que ne me convaincra Charles Michel, fils du précédent et actuel premier ministre belge qui l’imite par un « il y a eu trop de mensonges autour du CETA » (3). Ni le commissaire européen Günther Oettinger, en charge de l’économie digitale et de la société, qui a traité la Wallonie de « micro-région gérée par des communistes » (4). Le président de la Commission Européenne demande à la Belgique de changer ses institutions (5). Ben voyons, on avait déjà fait revoter l’Irlande et la France qui avaient refusé d’accepter des traités; les deux pays se sont inclinés et ont revoté.

Quelles magnifiques leçons de démocratie. 

(1) Voir notamment Joël Machado, Quels gains peut-on espérer d’une libéralisation de la migration ?, à paraître dans le numéro spécial de Reflets & Perspectives dirigé par Victor Ginsburgh et Luc Leruth et intitulé Splendeurs et misères d'une libéralisation de tout et de rien. Ce numéro contient d’autres articles qui clarifient les raisons pour lesquelles il faut s’opposer au TTIP, notamment par Antonio Estache, Claude Katz, Damien Neven, et Pierre Régibeau.
(2) Louis Michel sur le CETA : L’histoire nous montrera que nous avions raison, RTBF Info, 28 octobre 2016.
(3) Charles Michel, Il y a eu trop de mensonges autour du CETA, Le Soir, 30 octobre 2016.
(4) Magnette réagit à Oettinger sur la Wallonie : Des propos scandaleux et méprisants, Le Soir, 30 octobre 2016.
(5) Jurek Kuczkiemicz, Le Ceta signé, Juncker fait la leçon au CDH, à Lutgen et à la Belgique, Le Soir, 31 octobre 2016


3 commentaires:

  1. Cher Victor,
    Bien d'accord avec toi, C'est le sujet de mon livre "les Belges trahis par leurs élus". Nos élus, au lieu de défendre les intérêts des populations qui les portent au pouvoir, se compromettent avec les représentants des pouvoirs économiques et financiers. La seule manière de mettre un terme à ces abus est réécrire notre Constitution pour imposer à tous les pouvoirs le devoir de respecter les besoins des citoyens qui les élisent. C'est un défi certes, mais l'article 33 de notre Constitution donne tous les pouvoirs aux citoyens. Utilisons donc notre pouvoir

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  2. Cher Victor,
    Un merci tout particulier pour ton billet sur le CETA. Et puisque nous aimons les paradoxes, ajoutons celui-ci : ce sont de tels méfaits qui font de telles chroniques, si jouissive. Mais, derrière, il y a une tristesse, que le rire vise à rendre pudique.
    Surtout, Pierre et toi, continuez !

    Etienne

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  3. Bonjour,

    Votre point de vue est respectable.

    Vous faites un procès d'intention au CETA en citant des catastrophes écologiques occasionnées tantôt par l'usage d'insecticide, tantôt par la déforestation intensive.

    Devant un tribunal, l'avocat de la défense présenterait aussitôt une objection. En effet, on ne peut établir de corrélation entre les méfaits que vous dépeignés et les hypothétiques dérives que la ratification du traité CETA occasionnerait.

    De même, si la pression des lobbyistes sur les membres de la commissions est quelque chose qui n'est plus à démontrer (http://lobbyplag.eu/governments ou http://www.integritywatch.eu/), il reste néanmoins encore à connaître leur degré d'implication dans la rédaction de ce traité (qu'on sait déjà existant) et leur influence auprès des différents gouvernements pour ensuite le ratifier.

    Il appartenait au parlement Européen et aux ministres des différents gouvernement de chaque pays membres de s'opposer ou de ratifier le traité.
    Si le CETA est un abomination (je n'ai pas les compétence pour en juger personnellement) alors nos responsables politiques doivent être menés devant la justice car apposer la signature à un document est plus grave que de l'avoir rédiger.

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