jeudi 21 avril 2016

Une histoire d’eau peut vous rendre riche


Victor Ginsburgh

Caravage de soupente
C’est en tout cas ce qui vient d’arriver à un Toulousain qui, dans une soupente de son toit d’où tombaient des gouttes d’eau, a découvert un tableau du Caravage que les experts du monde entier se sont empressés de déclarer « un vrai Caravage » évalué à quelque €120 millions. Il y a déjà eu mieux—d’autant plus que c’est quand même un de ces vieux machins du 16e siècle, qui valent en général bien moins que certains Picasso, dont Les Femmes d’Alger vendu $180 millions—mais c’est pas mal quand même. Même si le tableau lui-même qui représente le sang qui gicle du cou d’Holopherne, tué par Judith est un peu dégueu…


Modeste maison de Berenson
dans les collines de Florence
Ce qui me donne l’occasion de parler des experts, souvent associés aux faussaires, ou qui ont en tout cas avantage à déclarer « authentique » un vrai faux. Le plus connu d’entre eux est sans doute ce merveilleux personnage (et néanmoins historien d’art) qu’était Bernard Berenson (1865-1959), spécialiste des peintres de la Renaissance italienne. L’historien d’art Gary Schwartz (1) s’est amusé (c’est lui qui le dit) à analyser les 87 attributions que Berenson lui-même avait faites des œuvres qui font toujours partie de sa propre collection conservée dans la maison où il vivait, aux environs de Florence. De ces 87, une seule tient toujours la route. Et encore, dit Schwartz, il s’agit d’un « modeste panneau [en fait, une prédelle, qui est la partie inférieure d’un retable polyptique et qui sert de support aux panneaux principaux] exécuté par le peintre frioulan Gianfrancesco da Tolmezzo » plutôt inconnu au premier rang du bataillon des peintres de la Renaissance italienne.

Cela arrive encore. Il y a quelques années, l’historien d’art allemand Werner Spies, ex directeur du Centre Pompidou a authentifié un faux Max Ernst, vendu chez Sotheby’s New York pour $1,1 millions en 2009. Dans un premier temps, il a été condamné à rembourser l’acheteur ; un deuxième jugement l’a innocenté (2). Les experts peuvent aussi se tromper, et ne sont pas toujours malveillants.

Les faux vendus pour authentiques proviennent des meilleures galeries. La célèbre galerie new-yorkaise Knoedler, qui fêtait il y a peu ses 165 ans d’existence, est soupçonnée d’avoir vendu plus de 30 faux tableaux pour $70 millions, dont des pas moindres que Jackson Pollock, Barnett Newman, Willem de Kooning et Mark Rothko (3). Ce dernier avait été acheté $950.000 par la galerie qui l’a revendu $8,3 millions. Ici, il s’agissait sans aucun doute de malversations.

Plus amusant. Le faussaire britannique Shaun Greenhalgh affirme être celui qui a dessiné La Belle Princesse (pas si belle d’ailleurs), attribuée par pas mal d’experts à Leonardo da Vinci. Ce n’est pas rien : si l’œuvre était de lui, elle vaudrait probablement €150 millions (4). Vous pouvez aussi aller acheter des pastels et des dessins non authentifiés de Francis Bacon chez Herrick à Londres. Pas cher, £795.000 par pastel £1.2 millions pour huit dessins (5). Un bon risque.

Et puis forcément on retrouve Panama et Mossack Fonseca. En 1997, la très célèbre collection de Victor et Sally Ganz, a été mise en vente, comme si elle provenait tout frais de leur succession. Pas vrai parce qu’il y a un certain Joe Louis qui l’avait acquise secrètement après le décès des Ganz en passant par une société offshore que le cher Joe avait créée chez Mossack Fonseca. L’astuce était de faire croire que c’était la famille Ganz qui vendait la collection, ce qui a l’a rendue plus chère. Pas de faux tableaux, mais une provenance truquée. Tout ceci au vu et au su de Christie’s New York (6).

Il y a plein d’autres histoires à raconter (7), y compris une petite que j’ai vécue en 1996. Un ami qui travaille dans une maison d’enchères célèbre m’appelle pour me montrer un (tout) petit dessin d’Ingres. Il avait beau être petit, il était quand même magnifique. Je demande à cet ami combien il fera en vente. Rien, me dit-il, parce que c’est un faux. Comment le sait-il ? Parce que c’est ce qu’a dit le grand expert suisse d’Ingres auquel la maison avait envoyé une photocopie du dessin par fax. L’enchère se passe et le petit Ingres est acheté par un Italien qui le paie € 7.000 si mes souvenirs sont bons. Comment sais-tu que l’acheteur est Italien ? Parce qu’il nous a écrit qu’il voulait être remboursé ; ses recherches lui avaient montré que le dessin était un vrai Ingres qui avait été volé dans un musée italien…

Le plus récent faussaire est un ordinateur qui a utilisé 168.000 fragments de 346 peintures de Rembrandt et une imprimante 3D pour fabriquer un portrait dans le style de Rembrandt : 148 millions, non, pas d’euros, mais de pixels. Regardez sur https://www.nextrembrandt.com le film qui décrit les étapes de la création de ce nouveau chef-d’œuvre du 17e siècle. Un vrai, un faux, un vrai faux ou un faux vrai ?


(1) Gary Schwartz, The transparent connoisseur 4 : a Berenson scorecard, March 28, 2016, https://garyschwartzarthistorian.com/author/loeklist/

(2) Judgment against Max Ernst expert Werener Spies overturned in appeal, The Art Newspaper,  December 9, 2015.

(3) Voir par exemple Laura Gilber and Bill Glass, Former director of scandal beset Knoedler Gallery breaks her silence, The Art Newspaper, April 18, 2016.

(4) Marie Kirschen, La Belle Princesse, un Léonard de Vinci à 150 millions d’euros… ou un faux, Libération, 29 novembre 2015. http://www.liberation.fr/auteur/15543-marie-kirschen

(5) Martin Bailey, Unauthenticated Francis Bacon works go on sale in London, The Art Newspaper, April 19, 2016.

(6) Scott Reyburn, What the Panama papers reveal about the art market, The New York Times, April 12, 2016. http://www.nytimes.com/2016/04/12/arts/design/what-the-panama-papers-reveal-about-the-art-market.html?_r=0

(7) Voir par exemple l’excellent ouvrage de Thierry Lenain, Art Forgery : The History of a Modern Obsession, London : Reaktion Books, 2011.



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