jeudi 10 mars 2016

Où il est question d’Eve, d’Adam et de Priape

Victor Ginsburgh

Georgia O'Keeffe, Black Iris
Le mot actuel (et convenable) pour désigner le sexe féminin en hébreu (פּוֹת, prononcé pôt) est d’une origine bien mystérieuse (1). Il apparaît dans le livre d’Esaïe (4, 16-17) — c’est la seule fois qu’il apparaît dans l’Ancien Testament et je doute qu’il apparaisse dans le Nouveau — mais a semble-t-il été bien mal compris et/ou traduit par la suite. Dans la traduction grecque, il est pudiquement rendu par « forme », en araméen par « dignité » ; par « forêt » écrit le Rabbin Samuel de Nehardea (165-256 apr. J.C.), non dit St Jérôme (347-420 apr. J.C.) c’est d’une « boucle de cheveux » qu’il s’agit, ce qui, oserais-je suggérer, est bien joli quand même. Le très sérieux pasteur protestant Louis Segond, dont je possède la traduction de la Bible en français, écrit « nudité ». On se rapproche quand même un peu de ce « pâle objet du désir » de Pierre Louÿs dans la Femme et le Pantin, et que Luis Buñuel a transformé en « obscur objet du désir » dans son film. Et voici enfin ce qu’ose dire André Chouraqui (1917-2007) dans sa traduction du dernier mot du verset 4, 17 de la Bible :

16 Adonai dit : Puisque les fille de Sion s’exaltent,
vont la gorge tendue, lorgnant des yeux,
vont en trépidant, vont en cliquetant des pieds,
17 Adonai pèle l’occiput des filles de Sion ; Adonai dénude leur vulve.


Et puis le reste est très beau aussi, je vous le donne dans la traduction de Chouraqui, mais si vous voulez plus croquant, passez outre :

18 En ce jour, Adonai écarte la splendeur des chevillières, lunules, pendentifs,
19 rivières, chaînettes, voilettes,
20 coiffes, gourmettes, rubans, maisons d’âme, amulettes,
21 bagues, anneaux de narine,
22 parures, pèlerines, écharpes, réticules,
23 miroirs, draperies, tiares, broches.
24 Et c’est, à la place d’aromate, la putréfaction ;
à la place de la ceinture, l’algamon ;
à la place d’ondulation, la calvitie ;
à la place de la chamarrure, une ceinture de sac ;
le stigmate à la place de la beauté.

Plus curieux encore est le mot hébreu pour le zizi masculin (2). La septième lettre de l’alphabet hébreu, ז (prononcée zayin) signifie « pouvoir » d’après les sages et se transcrit par le nombre sept dans la gematria des cabalistes, où chaque lettre de l’alphabet se traduit par un nombre et, comme dans beaucoup de religions, le chiffre sept est sacré ; dans la Bible, zayin signifie « arme ». De là, à en faire un symbole phallique, on n’est pas loin ; c’est ce que n’a pas manqué de faire le Rabbin Moshe Kordoveiro (16e siècle de notre ère) et le mot זין (zayin) est devenu zizi.

On peut se demander d’ailleurs, et c’est ce que fait Elon Gilad (3), pourquoi Adonai n’a pas utilisé le zizi ou l’os pelvien d’Adam pour fabriquer Eve. Ce qui aurait sans doute été bien plus facile que d’endormir, d’opérer et d’enlever une côte à ce pauvre premier homme. D’autant plus que si Adonai avait enlevé une côte à Adam, les hommes auraient une côte de moins que les femmes, pense Zyoni Zevit, professeur à l’American Jewish University. C’est en tout cas ce qu’aurait aussi dit Darwin s’il y avait pensé. Par contre, explique Zevit, contrairement à beaucoup d’autres mammifères comme la baleine ou le chien, l’homme n’a pas d’os pelvien, alors que la femme en a un (à peu de chose près). CQFD, ce qu’il fallait démontrer : Adonai a bien enlevé à Adam son os pelvien et pas une côte pour fabriquer Eve.

Enfin, arrive Priape qui, comme il vient d’être démontré par le professeur Zevit (et c’est vérifiable), n’a pas d’os pelvien. Mais comment faisait-il alors ?

Il faut savoir que Priape est l’enfant, naturellement illégitime, de Bacchus et de Vénus ; celle-ci a d’ailleurs été forcée de se retirer à la campagne, à Paphos, pour cacher sa taille qui s’arrondissait. Junon, stérile, assistait avec jalousie la pauvre Vénus, et s’était promis de jeter un sort sur le futur enfant. Quand il se présenta, elle se trouva tellement fascinée par le fascinus (4) du bébé, qu’elle en perdit ses moyens. Et par la suite, le fascinus est devenu un dieu protégeant du mauvais sort, représenté par des objets (dont un exemplaire est exhibé dans l’illustration) qu’il fallait avoir à l’entrée de la maison et à portée de main pour éviter toute malédiction lancée par un quelconque funeste jeteur de sortilèges.

Ceci ne dit d’ailleurs pas comment Priape a fait pour rester vaillant pendant si longtemps. Le professeur Zevit continue ses recherches sur la question. Ze vous tiens au courant dès que z’en sais plus.


(1) Elon Gilad, How the prophet Isaiah gave Hebrew its word for vagina, Haaretz, September 1, 2015.

(2) Michael Handelzalts, How one Hebrew letter came to mean both ‘penis’ and ‘weapon’, Haaretz, October 15, 2013.

(3) Elon Gilad, Why Giod didn’t use Adam’s penis bone to make Eve, Haaretz, December 29, 2015.

(4) Pour mieux comprendre ce qu’est le fascinus, et la fascination qu’il exerçait sur les Romains, plus particulièrement dans le Sud du pays (Naples, Pompei, Herculanum), voir l’ouvrage brillamment et abondamment illustré de Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi, Paris : Gallimard, 1994.







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