mercredi 24 février 2016

Pauvreté et richesse. De la mesure dans les mesures

Pierre Pestieau

Beaucoup d’articles qui dénoncent la concentration de la richesse ou le fléau de la pauvreté font dans l’excès et le pathos. Il n’est dès lors pas étonnant qu’ils ratent leur objectif supposé, à savoir nous sensibiliser aux injustices de ce monde et nous forcer à agir. Un peu comme ces images effrayantes que l’on trouve sur les paquets de cigarette ou les panneaux qui le long des routes nous donnent le nombre de morts annuel. Leur efficacité est douteuse.

Loin de moi l’idée de nier qu’il y a dans notre pays une pauvreté insupportable et une concentration des richesses intolérable. Il demeure que nous supportons l’une et tolérons l’autre.


Quand on lit dans un journal que la pauvreté touche 1 enfant sur 4 en Wallonie, 2 sur 5 à Bruxelles (1), il faut s’entendre sur la manière dont ces chiffres sont calculés. Il s’agit du revenu des parents divisé par la taille de la famille dûment pondérée. Pour une famille comprenant deux parents et 4 enfants on divisera le revenu par 3,7 (1 pour le premier parent, 0,7 pour le second et ½ par enfant). Si ce revenu est en dessous du seuil de pauvreté, typiquement 60% du revenu médian, on comptera ces 4 enfants comme pauvres. Ce n’est pas déraisonnable mais il faut prudence garder. Je me suis souvent dit que j’aurais été compté comme un enfant pauvre alors que mes 9 frères et soeurs et moi-même ne manquions de pas grand-chose. Et pourtant. Le revenu de mes parents agriculteurs divisé par 6,7 aurait certainement été bien en-deçà du seuil de pauvreté de l’époque. Mon propos est que la pauvreté des enfants ne peut pas être réduite au pouvoir d’achat de leurs parents mais à d’autres dimensions aussi importantes comme la nutrition, la santé et l’éducation. Si on tenait compte de ces dimensions, le chiffre serait peut être aussi accablant mais au moins il serait plus pertinent.

Récemment, je lisais la une de l’hebdomadaire Marianne (2) qui avait pour titre : Les super-riches vont super-bien… Ils sont 62 et possèdent autant que la moitié du monde. Leur magot a augmenté de près de 50% en 5 ans. Cette estimation est attribuée à Oxfam ; elle est plus sensationnelle qu’informative. Un petit calcul rapide : la moitié du monde la plus pauvre habite l’Asie, l’Amérique latine et surtout l’Afrique. Elle rassemble des ménages qui littéralement ne possèdent que trois fois rien, ce qui est un peu plus que rien selon Raymond Devos qui remarquait que pour trois fois rien on peut déjà acheter quelque chose ... et pour pas cher. Multipliez trois fois rien par 3,5 milliards et vous avez sans nul doute un montant qui n’excède pas ce que possède Bill Gates et ses frères milliardaires.

Il ne s’agit pas ici de nier la pauvreté des enfants ou la concertation du patrimoine mais pour lutter contre ces deux maux il importe de bien les appréhender.

Dans la série télévisée britannique Le Prisonnier, le personnage principal ne cesse de répéter « Je ne suis pas un numéro ». Dans la même ligne beaucoup de pauvres pourraient nous rappeler qu’ils ne sont pas une moyenne. Les données sur la pauvreté en Belgique ne cessent de nous interpeller. Certes les taux de pauvreté que connaissent la Belgique et la France sont élevés par rapport à leurs voisins du nord. Ce qui surprend c’est leur apparente stabilité. Que la pauvreté soit mesurée objectivement (avec un seuil égal au 2/3 du revenu médian) ou subjectivement (sur base de questions sur la possibilité de nouer les deux bouts) son taux est stable depuis de nombreuses années. Cela semble contredire ce qui se lit dans les journaux et ce que l’on observe chaque jour : les SDF et les mendiants plus nombreux que jamais, les restos du cœur et autres soupes populaires attirant de plus en plus de monde, des personnes âgées qui n’ont pas les moyens de se chauffer. Est-ce à dire que les statistiques sont erronées ?  Je ne le pense pas ; elles ont le seul défaut de ne représenter que la moyenne et de ne pas révéler les conditions extrêmement pénibles que connaissent certaines catégories sociales.



(2) Marianne, 980, 22-28 janvier 2016.

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