jeudi 21 janvier 2016

« Radical », ce mot aujourd’hui si mal utilisé

Victor Ginsburgh

Je prends « radical » dans le vrai sens du mot, celui que lui donne mon vieux (1995) Nouveau Petit Robert : « qui tient à l’essence, au principe d’une chose, d’un être » avec comme exemple d’utilisation « L’instinct le plus radical dans l’homme, le désir de vivre (Suarès) ». Pas dans le sens donné (à tort) à ce mot de nos jours. Comme à bien d’autres de ma génération, être « radical » m’est arrivé bien des fois et à bien des époques. Par exemple…

La mère des guerres justes contre la dictature de Franco et de sa bande de meurtriers en Espagne. L’assassinat de Federico Garcia Lorca (1). Après le Viva la Muerte d’un auditeur applaudi par le général franquiste Millan Astray présent, le discours du philosophe Unamuno, recteur de l’Université de Salamanque :

« Je viens d’entendre un cri morbide et dénué de sens « Vive la mort ». Moi qui ai passé ma vie à créer des paradoxes, je trouve votre paradoxe répugnant… Vous êtes ici dans le temple de l’intelligence, et je suis son grand-prêtre. C’est vous qui profanez cet endroit. Vous vaincrez parce que vous possédez plus de force brutale qu’il n'en faut. Mais vous ne convaincrez pas. Car, pour convaincre, il faudrait que vous persuadiez. Or, pour persuader, il vous faudrait avoir ce qui vous manque le plus : la Raison et le Droit dans votre combat. Je considère comme inutile de vous exhorter à penser à l'Espagne. J'ai terminé. »

Et continue l’historien Hugh Thomas (2), « à la suite de ces mots, il y eut un long silence ». Comme dans l’Apocalypse de Jean, après que l’ange eut ouvert le septième sceau. Unamuno est mort peu de temps après.


Qui ne serait pas prêt à devenir « radical » et à partir se battre. Et nombreux sont ceux qui l’ont fait. Mais cela se passait en 1936, et je suis né en 1939, un peu trop tard.

En 1964, j’ai fait un voyage en Chine, qui était encore celle
de Mao. C’était trois ans après la fin du Grand Bond en Avant et la probable famine qui s’ensuivit, quatre ans après la rupture entre la Chine et la Russie qui a technologiquement désarmé le pays — je me souviens d’un pont en construction long de 100 mètres à peine qui nous était montré avec grande fierté —, et heureusement trois ans avant la Révolution Culturelle. Comment ne pas se montrer enthousiaste et vouloir travailler dans un tel environnement. C’aurait été « radical » à l’époque. Mais je ne suis pas resté…

1973, l’assassinat d’Allende et l’horreur au Chili, partagée avec mon fils qui avait six ans, et avec bien d’autres, Matéo, Marcel, Sarah et tous ceux dont j’ai oublié le nom, vieillesse dispose. C’était « radical », mais j’avais compris que je ne partirais plus. Si quand même un peu, quelque 30 ans plus tard…

En 2002 ou 2003, un voyage en Palestine occupée et une conférence sur le même sujet, organisée en 2004 à Bruxelles, après bien des embûches. Radical ?

Mais contrairement à Dante qui dans le chant 3 de l’Enfer écrivait « Abandonnez toute espérance, vous qui entrez ici », je continue de m’indigner et de me prendre pour un radical dans certains textes que j’écris de temps à autre. Mais c’est si peu.



(2) Voir Hugh Thomas, La guerre d’Espagne, Paris : Laffont, 1961.

3 commentaires:

  1. Cher Victor,
    Dire ou écrire son indignation, ce n'est pas si peu, c'est déjà agir ! Donc, surtout, Pierre et toi, continuez !

    Etienne

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  2. Qui trouve encore la force de s'indigner a l'avenir devant lui.
    Et qui trouve le temps de l'écrire, avec distance et délicatesse, mérite les louanges.
    Amitiés et à bientôt
    Pierre

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  3. Si j'en crois le texte "Etre jeune", attribué à Mac Arthur (pas un copain à toi probablement), t'es pas si vieux que ça. Continue, "vieux" radical : ça n'empêche pas de prendre de l'âge,mais bien de vieillir.

    M

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