mardi 1 décembre 2015

Fraude sociale, fraude fiscale

Pierre Pestieau

Dans le débat politique courant, ces deux types de fraude constituent un duo d’inséparables frères ennemis. Toujours opposés dans un monde manichéen. Pour la gauche, la fraude est essentiellement fiscale. Typiquement, tout indépendant est un fraudeur en puissance. Pour la droite au contraire, la fraude est surtout sociale ; l’allocataire social, en particulier le chômeur ou le bénéficiaire de minimums sociaux est un tricheur potentiel. Et si ce n’est pas lui, c’est son frère.

Que faut-il en penser ?

D’abord l’absence d’évaluations sérieuses permet a quiconque d’affirmer n’importe quoi. Puisqu’on ne peut mesurer l’intensité de ces fraudes, toute mesure est bonne. Il y a bien une estimation fréquente qui attribue à la fraude fiscale 2/3 de la fraude totale. C’est à mon sens trop peu pour deux raisons. Les montants en jeu sont beaucoup plus élevés dans la fraude fiscale. En outre les possibilités y sont plus nombreuses. On prête au Conseil d’Etat français la jolie phrase « la fraude des pauvres est une pauvre fraude. 

Il existe une zone grise entre ces deux fraudes. Le travail au noir inclut en effet les deux. Fraude sur l’impôt sur les revenus et sur la TVA ; fraude sur les cotisations sociales et cumul avec des allocations sociales. La distinction n’est donc pas si claire.

En 2011, Dominique Tian, député UMP et rapporteur de la mission d’évaluation des comptes de la Sécurité sociale publiait un rapport  (1) qui donnait 4 milliards d’euros de fraude aux prestations, contre 16 milliards d’euros aux prélèvements et 25 milliards d’euros d’impôts non perçus par le Trésor — ces deux formes de fraude étant du ressort des entreprises et des contribuables fortunés.

Fraudes fiscale et sociale conduisent à fausser la concurrence, à une perte de revenus pour l’Etat et la sécurité sociale et à un abandon de la protection des conditions de travail. Elles ont aussi en commun d’avoir chacune une contrepartie légale. Dans le cas de la fraude fiscale, ce sont les différentes pratiques d’évasion fiscale. Dans le cas de la fraude sociale, ce sont les pratiques abusives. Deux exemples. D’une part la surconsommation de médicaments et particulièrement d’antidépresseurs que l’on observe en France. D’autre part, il y a les prétendus excès de dépenses de santé des Wallons par rapport aux Flamands.  Pour mesurer ces abus on utilise la méthode du benchmarking, aussi appelée méthode des meilleures pratiques. C’est une méthode qui consiste à comparer les pratiques de différents prestataires ou allocataires et de repérer les déviants.

La fraude sociale implique souvent des personnes fragiles.
Est-elle toujours condamnable si l’on fait abstraction de la dimension légale ? Certes de nombreux exemples de fraude sociale sont motivés par l’appât du gain et n’ont aucune justification dans la mesure ou ils peuvent mettre la vie ou la santé des personnes en danger. Il y a cependant des exemples de fraude que d’aucuns essaient de justifier au nom de l’inadéquation de notre protection sociale avec les vrais besoins de la population. Telle personne qui se fait passer pour un isolé alors qu’elle est dépendante arguera que l’indemnité qu’elle touche comme dépendante est largement insuffisante pour mener une existence décente. Telle autre qui travaille au noir tout en touchant une indemnité de chômage se défendra en disant que c’est la seule manière de nourrir sa famille. Si ces situations sont avérées, la solution n’est pas dans la fraude mais dans la reforme  des règles de protection sociale.

Deux mots pour terminer. Le manque à gagner pour le trésor public vient davantage de l’évasion fiscale et des usages abusifs du système de protection sociale que de la fraude au sens strict. Ensuite, quand on voit une pauvreté croissante et une concentration de la richesse atteignant des sommets d’indécence, il est difficile de penser que la fraude et l’évasion fiscale ne jouent pas un rôle plus important que la fraude sociale dans la répartition des ressources nationales.


(1) « Rapport d’information sur la lutte contre la fraude sociale », mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, Assemblée nationale, 29 juin 2011.

1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup ta notion de fraude sociale. Cela ne s'appelait-il pas avant "déshonnêteté"? Dans un cas, y'a pas de quoi avoir très honte, on fait ce qu'on peut pour survivre, dans l'autre (paradis fiscaux etc.) si.

    RépondreSupprimer