mardi 3 novembre 2015

Vivons riches, vivons cachés

Pierre Pestieau

En Belgique comme ailleurs, les milliardaires font de temps
en temps la une des journaux malgré eux. Car leur désir le plus intense est de rester caché pour reprendre le titre de l’excellent film d’Hanneke. Je ne parle pas ici des fortunes tapageuses et sulfureuses des riches Russes qui flambent leur agent noir sur la Côte d’Azur, ni des vedettes du ballon rond, de l’écran ou de la chanson qui aiment afficher leur réussite auprès d’admirateurs souvent sans le sou. Malheureusement on ne dispose que de peu de données pour connaître la concentration de la richesse. Il y a l’enquête récente de la Banque Centrale Européenne, qui est la seule source fiable en Belgique. Il y a par ailleurs des données que nous livre la presse sur les grandes fortunes. Ces données sont rarement crédibles; elles frappent l’imagination quand elle sont présentées sous le titre tapageur du type : Les 30 familles qui contrôlent le pays. En l’espèce, les données du magazine américain Forbes sont sans doute les plus dignes de foi. Dans sa dernière livraison, Forbes nous annonçait que 3 Belges figuraient parmi les milliardaires de ce monde. En dollars américains, on comptait par ordre décroissant Albert Frère avec 4,9 milliards, Paddock Chodiev avec 2 milliards et Marc Coucke avec 1,47 milliards. Les choses vont vite. En 2010 quand l’enquête de la BCE a été menée, Albert Frère était le seul milliardaire belge repris dans le classement Forbes et sa fortune s’élevait seulement à 1,92 milliards d’euros (2,4 milliards de dollars). Excusez du peu.


Comment concilier une enquête telle que celle de la BCE
et les données de Forbes ou toutes autres données ponctuelles fournies par les magazines économiques ? C’est ce qu’a tenté de faire récemment un économiste de la BCE (1). Il note d’abord pour la dizaine de pays qu’il étudie que les plus riches sont souvent absents de l’enquête européenne. La Belgique est le pays où l’écart entre la richesse la plus élevée dans l’échantillon de la BCE (8 millions d’euros) et la seule richesse répertoriée dans Forbes (1920 millions), qui est celle d’Albert Frère. L’objectif de cette recherche est d’intégrer les milliardaires de Forbes dans la distribution du patrimoine. Cela revient à compléter la partie supérieure de la distribution afin de mieux cerner la concentration du patrimoine. Alors que selon l’enquête BCE, la part possédée en Belgique par le 1% des plus riches est égale à 12%, elle passe à 17% si l’on introduit les données de Forbes. Par comparaison, la fraction de riches possédant plus d’un milliard avant/après correction est de 18/19% en France, 24/33% en Allemagne et 34/37% aux Etats Unis. Clairement l’échantillon français est beaucoup plus représentatif des riches que l’échantillon belge.

Ce qui frappe en effet dans cette étude est la modestie de la richesse la plus élevée des Belges repris dans l’enquête de la BCE. On devine sans peine qu’il y 5 ans, il y avait un certain nombre de Belges possédant plus de 8 millions d’euros. Il y a évidemment un problème d’échantillonnage que d’autres pays ne connaissent pas puisque dans certains d’entre eux, la richesse la plus élevée dans l’enquête de la BCE est supérieure au milliard.

On notera que par comparaison la Belgique compte peu de milliardaires selon le classement de Forbes : 3 pour 11 millions d’habitants en 2015. Les pays qui comptent le plus grand nombre de milliardaires par habitant sont par ordre décroissant : 1. Monaco (3/35.427) ; 2. Saint Kitts et Nevis (1/53.051) ; 3. Guernesey (1/65.573) ; 4. Hong Kong (39/7,1 millions) ; 5. Belize (1/356.600) ; 6. Chypre (3/1,1 million) ; 7. Israël (17/7,8 millions) ; 8. Singapour (10/5,2 millions) ; 9. Koweit (5/2,8 millions) ; et 10. Suisse (13/7,9 millions). Sans surprise, ce sont tous des (quasi) paradis fiscaux.

(1) Philip Vermeulen, How fat is the top tail of the wealth distribution? BCE Working Paper # 1692 , 2014

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