jeudi 29 octobre 2015

A quoi ça sert

Pierre Pestieau

Il y a un peu plus de 30 ans, nous nous sommes, mon co-blogeur et moi, intéressés à la question suivante: « Dans quelle mesure la manière dont les communes belges sont gérées dépend-elle de la couleur politique du conseil communal? » Cette étude (1) faisait suite à un ouvrage du politologue Denis Lacorne, Les notables rouges  (Presses de la FNSP, Paris 1980). La conclusion de notre étude comme celle de Lacorne étaient que la couleur importait peu. Fallait-il désespérer de la politique et de la capacité de changer la société de la gauche? Pas vraiment. A l’époque, on se rassurait en pensant que les communes avaient somme toute peu de responsabilités à part la gestion quotidienne de tâches très concrètes telles que le ramassage et le traitement des ordures ménagères. Or, jusqu’à preuve du contraire il n’y a pas d’ordures rouges ou bleues et encore moins vertes (encore que beaucoup de légumes soient jetés alors qu’ils sont frais). On se rassurait aussi en écoutant les édiles de gauche nous dire que même si leur gestion n’était pas différente de celle de droite, elle se faisait avec davantage de cœur.



Trente cinq ans plus tard on a l’impression que ce constat de l’impuissance des gouvernements à changer la société dans un sens ou dans un autre s’est déplacée d’un cran, celui de la nation. Les faits et les raisons ? Les faits : la croissance des inégalités et la crise de l’emploi dans de nombreux pays semblent ne pas dépendre de la couleur politique des gouvernements en place. Les raisons ou plutôt la raison : la globalisation et ses conséquences. La décision politique demeure confinée aux frontières nationales alors que le cadre de la décision économique est aujourd’hui planétaire.

Cette impuissance nourrit d’ailleurs le désamour de la population vis-à-vis de la chose publique. On entend souvent dire : « Gauche ou droite, ils  gouvernent de la même façon. A quoi bon voter ? Si ce n’est pour des partis qui promettent la lune et le paradis sur la lune. » Il faut dire que nos économies souffrent du problème d’un chômage structurel élevé, surtout chez les jeunes, d’un déficit budgétaire et d’un endettement qui laissent peu de marge de manœuvre. Elles souffrent aussi de la menace constante que le moindre écart par rapport à l’orthodoxie soit sanctionné par la fuite des capitaux et des cerveaux. Dans un tel contexte, il reste peu de place pour l’imagination et les nouvelles initiatives.

Sans nier cette réalité, il me semble cependant que certaines choses peuvent être faites au prix d’un certain courage politique. Cela demande de rétablir la confiance entre l’Etat et le citoyen et entre les citoyens eux-mêmes. Ce qui tue notre société, c’est le climat constant de défiance qui y règne (2). Dans un tel climat, le citoyen ne peut pas croire que les sacrifices qu’on lui impose dans le court terme peuvent déboucher sur un mieux être. Je pense ici à une réforme fondamentale de notre fiscalité et de notre sécurité sociale.

(1) V. Ginsburgh et P. Pestieau, Politiques et budgets communaux, Courrier Hebdomadaire du CRISP, n° 879, 4.25, 1980.

(2) Voir à ce sujet Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance. Comment le modèle social français s'autodétruit, Cepremap, éditions rue d'Ulm, 2007. Ce livre toujours d’actualité défend une thèse simple: la société française est rongée par le corporatisme et l'étatisme. Ces deux maux nourrissent un climat de défiance qui, tout à la fois, réduit le bien-être et la croissance, accroît le chômage, accentue la demande d'Etat au détriment de l'adhésion syndicale, et suscite grogne et passe-droits.

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Sans connaître le cas avec beaucoup de précision, l'Islande est-elle une exception ?
    Bien cordialement,
    Yves

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  2. Ceci me rappelle cet autre billet fait outre-atlantique mais dont la conclusion est transposable chez nous: https://voir.ca/yvan-dutil/2015/09/11/linsoutenable-legerete-des-politiques-economiques/

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