mardi 29 septembre 2015

De gare en gare

Pierre Pestieau

J’ai récemment déménagé de Liège à Mons avec l’impression de passer de tracas ferroviaires irritants à des ennuis insupportables. Je m’explique. Liège a maintenant une gare pharaonique que l’on doit au génie de Valence, Santiago Calatrava Valls. Cela a impliqué une longue période de transition. En effet entre la démolition de l’ancienne gare des Guillemins et l’inauguration de la nouvelle gare, se sont écoulés 27 mois au long desquels il a fallu utiliser une gare préfabriquée sans confort (ni salle d’attente, ni escalators), d’accès difficile (taxis et bus éloignés), difficile surtout pour les personnes à mobilité réduite (rampes métalliques glissantes). Si j’évalue  à 10 minutes le temps supplémentaire moyen qu’un voyageur devait consacrer à rejoindre les quais et si j’estime qu’une heure de temps vaut 12 euros cela représente une perte de 2 euros par trajet. Il nous faut calculer le nombre total de trajets sur les 27 mois. Soit le nombre moyen de passagers par jour (14.812) multiplié par le nombre de jours (30x27), ce qui donne 11.997.720 voyageurs (1). C’est beaucoup. En multipliant ce nombre par 2, on obtient près de 24 millions d’euros. Certes cette perte est peut-être compensée par le gain en bien-être des voyageurs qui, depuis le 18/9/2009, jouissent d’une gare que toute l’Europe nous envie. C’est à voir. Tout dépend du taux d’actualisation qui permet de comparer des niveaux de bien-être à des moments différents. Si ce taux est très élevé, on peut parler d’une perte sociale. On notera en passant que je n’ai pas tenu compte des implications que ses travaux ont pu avoir pour les riverains. De nombreux commerces ont du fermer parce que pendant plus de deux ans ils étaient inaccessibles. En outre il est important d’observer que l’investissement gigantesque que représente la Gare de Calatrava n’a eu aucun effet sur la rapidité du trafic ferroviaire. En fait au cours de la dernière année, la situation a empiré. Par exemple, la durée du trajet Liège-Bruxelles s’est allongé de 6,5%.

Mais comme on le devine la situation est pire pour le malheureux voyageur montois que je suis devenu. On notera d’abord que le temps d’un trajet Mons-Bruxelles a augmenté de 7% au cours de la période 2013-2014. En outre, les tracas qu’entraîne l’accès à la gare préfabriquée sont plus élevés qu’ils ne l’étaient à Liège. Cette construction temporaire est plus éloignée du centre et les rampes d’accès aux quais sont on ne peut plus inconfortables. Mais plus grave, selon les meilleures estimations, la période de transition devrait durer 60 mois. Sur cette période, on s’attend à 13.269.600 voyageurs. Si j’évalue à 15 minutes le temps supplémentaire qu’il faut pour rejoindre les quais de la gare préfabriquée, j’obtiens un total de plus  de 40 millions d’euros (2).

Même si on ne remet pas en cause la construction de ces deux gares, il y a lieu de d’interroger sur la manière dont les travaux sont menés. Il n’est pas normal d’avoir des périodes de transition aussi longues, d’autant plus que, comme les budgets, ces périodes ne cessent d’augmenter au cours des travaux. Je doute que le coût qu’entraîne la transition de l’ancienne à la nouvelle gare ait jamais été pris en compte par ses concepteurs. La gare de Mons, ai-je appris, aurait dû être achevée pour le début de l’année 2015 afin d’accueillir les nombreux visiteurs de Mons, Capitale culturelle de l’Europe. Aurait-on oublié que « gouverner c’est prévoir » ?  Enfin, je ne puis m’empêcher de revenir sur le coût de ces deux gares. Rapportés au nombre de voyageurs ce sont des coûts records à l’échelle planétaire. Comment peut on l’expliquer ? Il y a selon moi deux raisons : le type de financement et le poids politique de ces deux villes. Dans la mesure où le financement était pour une grande partie européen et fédéral, la population concernée y a peu contribué. Par ailleurs, Liège et Mons jouissent d’un soutien politique plus élevé que d’autres villes francophones dont les gares sont pourtant beaucoup plus fréquentées. Est-ce une bonne façon de veiller à l’intérêt général ?

 (1) Liège compte 17467 voyageurs par jour en semaine, 8623 le samedi et 7731 le dimanche. Soit une moyenne journalière de 14812. Multipliant cette somme par 30x27, cela donne un total de 11.997.720 voyageurs sur 27 mois. Si chaque voyageur subit une perte de 2 euros du fait d’un accès plus long et plus difficile, cela donne une perte totale de près de 24 millions d’euros.

(2) Mons compte une moyenne journalière de 7372 voyageurs. Multipliant cette somme par 30x60 conduit à un total de voyageurs sur la durée attendue de 60 mois égal à 13.269.600. Si j’estime la perte encourue par chaque voyageur à 3 euros, cela donne une perte totale de plus de 40 millions d’euros.

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