mercredi 13 mai 2015

Les Congolais sautent sur Froidchapelle

Pierre Pestieau

Je vous parle d'un temps et d’un lieu que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, Froidchapelle était un petit village de l’Entre-Sambre-et-Meuse qui vivait heureux et caché. Chimay était la ville la plus proche mais on ne s’y aventurait qu’à de rares occasions. C’était déjà l’étranger.

A deux pas de la maison familiale dans laquelle nos parents ont élevé leurs dix enfants se trouvait un café nommé la Barrière Torlet en référence à un péage de l’Ancien Régime où la gabelle était perçue. Enfants nous regardions ce tripot avec méfiance. Plus tard, quand l’Université nous eut déniaisés, nous y avons amené des amis de Louvain originaires de plusieurs continents. La tenancière bien-nommée Georgina, que Ray Charles a si bien chantée,  nous accueillait avec suspicion et sans grandes espérances. Nous n’étions pas de gros consommateurs. Un jour ma sœur s’y est rendue avec une amie chinoise de Hong Kong. Elle fut accueillie par Georgina qui s’écria « Encore une Congolaise! ». Et ma sœur de protester en lui expliquant qu’elle était chinoise et non africaine. Ce à quoi Georgina répondit en son délicieux patois. « Pour moi c’est du pareil au même. Tous les étrangers sont des Congolais ». Nous étions au début des années 60. Quelques années plus tard, un de mes frères se rend chez elle, accompagné de sa fiancée colombienne. Georgina : « Elle vient du Congo ? ». Mon frère : « Oui, bien sûr. Son père vit, avec des singes, perché dans un arbre où ils mangent des bananes ».


Le temps a passé ; nous nous sommes éparpillés de par la Belgique et le monde. Georgina a mourir et a lais son tripot à un repreneur. Froidchapelle qui nous paraissait si idyllique est progressivement devenu un village qui a accueilli de nombreux pauvres dans des habitations initialement prévues pour des vacanciers, dans des lieux aux consonances poétiques : Le Cul de Cheval, le Bosquet. Dans un classement récent, la commune s’est trouvée classée avant-dernière pour la qualité de sa gestion. Elle est aussi une des plus pauvres de Belgique. Seul rayon de lumière : le joueur de football Daniel Van Buyten, originaire de Froidchapelle, lui a donné un éclairage plus favorable dès lors qu’il joua pour le Bayern de Munich et brilla au sein de l’équipe nationale belge.

Les années passèrent jusqu’à ces dernières semaines où est tombée une nouvelle accablante (3). Dans ce café rebaptisé Le Milombois, du nom du hameau dans lequel il se situe, s’est passé un drame. Deux bûcherons éméchés, qui venaient d’ailleurs, sûrement des sortes de Congolais, en tout cas ils n’étaient pas de Froidchapelle, mais de Macon à la frontière belgo-française, se sont vu refuser l’entrée. Furieux, ils ont actionné leurs tronçonneuses. Un client qui tentait de s’interposer a eu trois doigts sectionnés. Froidchapelle est depuis traumatisé par ce nouveau Massacre à la tronçonneuse. Georgina s’est sûrement retournée dans sa tombe, qui n’est d’ailleurs pas située loin de là.

Tout fout le camp.

(1) En référence à une action néocolonialistes remontant à 1964 et connue sous le nom de « Les paras belges sautent sur Stanleyville ».
(2) Mon regretté frère Joseph consacra un excellent livre au village : Froidchapelle : un village entre Sambre et Meuse, 1900-1950, Economica, Paris, 2012


1 commentaire:

  1. Toujours aussi pertinent et plein d'humour!
    Merci Pierre.

    RépondreSupprimer