jeudi 5 mars 2015

A propos du discours de Philippulus, nouveau Roi des Juifs , et de son fidèle Elie

Victor Ginsburgh

Le discours de M. Netanyahou au Congrès américain aura quand même fait quelques heureux. Les Christians United for Israel, (groupe chrétien le plus important de soutien d’Israël), l’ont trouvé « digne de Churchill » (« a Churchill moment », a dit leur chef, le pasteur Machin) : « L’heure est venue où l’Amérique a entendu la vérité, et elle doit maintenant répondre avec une législation sérieuse qui permettra de garantir la liberté pour Israël et pour l’Amérique ».


Je dois avouer que le discours de ce deuxième génie des Carpates (vous vous souvenez sûrement du premier), m’a plutôt fait penser à Philippulus dans L’Etoile Mystérieuse qui courait après Tintin dans les rues en criant et en tapant sur son gong :


« Je suis Philippulus le Prophète. Et je vous annonce que des jours de terreur vont venir ! La fin du monde est proche. Tout le monde va périr. C’est le châtiment, faites pénitence, la fin des temps est venue ».

Bref, vous êtes tous prévenus. D’ailleurs, contrairement à Philippulus auquel Tintin essayait d’échapper, les membres du Congrès (à l’exception, dit-on, d’une soixantaine de Démocrates qui ont séché la séance) étaient suspendus aux lèvres du génie et l’ont ovationné, souvent debout, et très  exactement à 43 reprises. Heureusement, les applaudissements étaient plutôt distrayants par rapport à ce que Philippulus avait à dire.

Nancy Pelosi, membre démocrate du Congrès de Etats-Unis, a déclaré : « J’ai presque pleuré durant le discours, attristée par l’insulte à l’intelligence des Etats-Unis, et par la condescendance avec laquelle a été traitée notre connaissance de la menace posée par l’Iran et notre engagement à défendre la prolifération de l’arme nucléaire ». Et la célèbre journaliste de CNN, Christiane Amanpour n’a pas hésité à traiter le discours de « noir et digne du Dr Folamour » (dark, Strangelovian), qui, vous vous en rappellerez sûrement, volait juché sur les bombes atomiques qu’il lançait lui-même.

Même le pathétique Elie Wiesel, dont il convient de rappeler ici qu’il est Prix Nobel de la Paix s’était déplacé et a été félicité par Philippulus pour son courage et sa loyauté. Voici trois faits glorieux et récents dont le cher Elie peut être pathétiquement fier :

(a) une publicité signée par Elie soi-même, président du Conseil de la colonie Elad à Jérusalem Est, félicitant les nouveaux occupants juifs en octobre 2014, qui ont évincé les occupants palestiniens de leur logements; ce qui pousse Yossi Sarid, israélien, mais pacifiste, lui, à écrire « Elie Wiesel cache le nettoyage ethnique sous son châle de prières » (1) ;
 
(b) une publicité signée par Elie soi-même, qui a pour titre « les Juifs ont aboli le sacrifice des enfants il y a 3.500 ans. C’est le tour du Hamas de faire de même » et d’expliquer que la dernière guerre de Gaza a été « une bataille entre ceux qui célèbrent la vie (c’est-à-dire, nous) et ceux qui se font les champions de la mort (eux) » (2). Ben oui, sauf qu’il y a eu quelque 2.200 morts palestiniens à Gaza, dont plus de 500 enfants et 71 Israéliens, dont 66 soldats (3) et des enfants sont morts
de froid cet hiver suite aux démolitions des logements à Gaza (4);

(c) et le regard plein d’humilité dudit Elie, assis aux côtés de Mme Philippulus, lors des félicitations que lui adresse M. Philippulus au Congrès il y a deux jours.

A part cela, tout va très bien. Israël n’a pas la bombe atomique et Obama n’a pas pris la peine d’écouter le discours de notre nouveau prophète pendant qu’il le prononçait. Ce dont je doute quand même un peu.


(1) Yossi Sarid, Elie Wiesel hides ethnic cleansing behind a prayer shawl. This ostensible Messenger of peace supports an organization that evicts Palestinians from their homes in East Jerusalen, Haaretz, October 17, 2014


(3) voir http://en.wikipedia.org/wiki/2014_Israel–Gaza_conflict

(4) L'abandon de Gaza crée une bombe à retardement, RTBF, 5 mars 2015.

3 commentaires:

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  2. Vous passez sous silence, délibérément ou naïvement, plusieurs éléments de compréhension du discours de Bibi. D'abord, celui-ci est donné dans le contexte d'une campagne électorale israélienne et Bibi soigne sa droite sécuritaire. Ensuite, il s'agit de la première fois de l'Histoire qu'un pays ayant à plusieurs reprises juré la destruction de l'état d'Israël est en passe de se doter de l'arme atomique. Aussi, vous n'ignorez sans doute pas que les Juifs ont naguère subi un terrible génocide dans l'indifférence internationale générale - la destruction des Juifs n'est pas, non, une simple lubie mais un triste leitmotiv de l'Histoire - mieux vaut donc en faire trop que trop peu à ce sujet. Enfin, j'estime que l'utilisation de dessins d' Hergé, antisémite notoire à un moment décisif, est bien malheureuse.

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    1. En soignant sa droite sécuritaire, Bibi joue un jeu extrêmement dangereux. Même des personnes haut-placées dans la hiérarchie militaire israélienne ont reconnu qu'elles ont évité in extremis qu'une attaque soit lancée par Israël sur l'Iran afin de détruire ses installations nucléaires, et que cette attaque aurait été désastreuse tant elle était mal conçue et mal préparée. En bref, elle aurait mis en péril les populations israéliennes. Telle est la sinistre vérité: Bibi est un va-t'en-guerre qui opère contre les intérêts de son propre peuple et pas seulement contre ceux de l'humanité. En l'invitant à parler au Congrès, les républicains américains jouent un jeu sinistre qui contribue à polariser la communauté internationale et montre bien à quel point les Etats-Unis ne sont plus à même aujourd'hui de remplir le rôle de super-puissance gardienne de l'ordre international. Ils sont plutôt devenus les créateurs du désordre international.

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