jeudi 11 décembre 2014

Misère des pauvres et richesse des spécialistes

Pierre Pestieau

Depuis plusieurs années, je fréquente la Banque Mondiale
qui fort aimablement me prête un bureau. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, la Banque Mondiale fait de la lutte contre la pauvreté une priorité à tel point que l’on ne peut pas faire un pas sans que sur un mur, une porte ou un plafond de son immeuble on ne lise les deux mots incantatoires : End Poverty. Il y a de nombreux économistes qui travaillent sur le sujet et qui se déplacent dans les pays du tiers monde pour lancer des programmes divers de lutte contre la pauvreté. Dans les bureaux de Washington des chercheurs de qualité étudient différentes facettes de la pauvreté, comment la mesurer, l’expliquer et la combattre. La Banque Mondiale est sans doute le centre de recherche qui concentre le plus de chercheurs dont les travaux sont axés sur cette thématique. Il arrive que sous forme de boutade l’on ose dire : que deviendraient tous ces gens si la pauvreté disparaissait du jour au lendemain ? A mon avis le même sort que les soviétologues qui ont fini dans l’anonymat ou sont devenus des spécialistes de la transition. Les uns se réadapteraient à de nouveaux thèmes, par exemple les riches et leurs angoisses, et d’autres sombreraient dans la dépression.

C’est dans cet état d’esprit que je suis tombé récemment sur un livre au titre aguichant : L’invention de la pauvreté (1), dont la bande de lancement contenait précisément cette lourde interrogation : « À quoi sert le pauvre ? Et plus particulièrement « le milliard de pauvres qui vit avec un dollar par jour » ? Et de répondre sérieusement : « À donner une contenance et un boulot (grassement rémunéré) pour les haut-fonctionnaires de l'ONU, de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International. Tout simplement ! »

Je ne pouvais en rester la et je voulus distinguer dans ce propos la part de caricature de celle de la réalité. C’est ainsi que j’ai lu le roman de Tancrède Voituriez qui met en scène trois personnages principaux : un économiste libéral de gauche, sûr de lui et de ses méthodes, un brillant professeur et chercheur spécialiste du décompte des poissons, et une jeune femme vietnamienne, pauvre et jolie que l’économiste a tirée de la misère pour alléger sa conscience.

L’économiste, en qui les initiés reconnaîtront Jeffrey Sachs, est confronté à une crise. La pauvreté n’est plus une priorité pour les grandes organisations internationales et ce pour plusieurs raisons. D’abord, il serait prouvé que les pays nantis ne risquent rien à laisser perdurer ce fléau ; en d’autres termes, contrairement à ce que l’on pensait, les pauvres ne sont pas dangereux et les risques d’une révolte du sud contre le nord sont inexistants. Ensuite, la pauvreté semble croître plus rapidement dans les pays aidés par l’occident que dans les pays qui telle la Chine se passent de l’aide des pays riches. Pour surmonter la crise notre économiste de la pauvreté va avec l’aide de l’ichtyologiste recompter les pauvres de façons à avoir une répartition géographique des pauvres qui puissent relancer l’intérêt des donateurs. Il retrouvera ainsi son aura mais dans l’aventure, il se fera piquer la jeune vietnamienne qu’il vient d’épouser par l’ichtyologiste.


(1) Tancrède Voituriez, L’invention de la pauvreté, Paris : Grasset,  2013.

1 commentaire:

  1. je ne saisis pas en quoi l'ichtyologie (science des poissons d'après le petit Robert, pas moi!) a à voir avec ton propos sur la pauvreté? ... qui est un problème qui me préoccupe venant de pays où celle-ci est endémique.

    RépondreSupprimer