mardi 4 novembre 2014

Faut-il subventionner la paresse?


Pierre Pestieau

Imaginons un monde dans lequel tous les individus seraient au départ identiques; ils seraient tous confrontés à la même loterie de vie: avec une probabilisé élevée, ils auraient une vie professionnelle épanouissante, un réel attachement à leur travail et une faible désutilité pour l’effort; avec la probabilité complémentaire, extrêmement basse, ils auraient une vie où le
travail et l’effort leur paraîtraient insupportables et, de ce fait, préféreraient vivre petitement privilégiant le loisir à la consommation. Il est assez clair que dans ce monde particulier les individus, s’ils en avaient l’occasion, choisiraient de s’assurer pleinement avec pour résultat que leur utilité serait la même dans les deux situations. Un tel résultat impliquerait donc que les paresseux seraient subventionnés par les courageux.
J’utilise à dessein les termes courageux et paresseux sachant qu’ils ne veulent pas dire grand- chose si ce n’est un jugement de valeur permettant aux chanceux de se justifier auprès des malchanceux de la loterie de la vie. En réalité ces termes cachent des formes diverses de pathologies. La dépression, la procrastination, une santé déficiente dans un cas et dans l’autre, de l’hyperactivité ou une addiction qui porte le nom éloquent de workaholism (à ne pas confondre avec alcoolisme au travail). Bien sur je décris ici un monde manichéen avec des déprimés et des bourreaux du travail. En réalité, il y a, heureusement, des cas intermédiaires.

Ces réserves sont utiles mais elles n’expliquent pas pourquoi l’assurance qui permettrait de subventionner les paresseux au détriment des bourreaux du travail n’existe que très imparfaitement dans nos Etats providence modernes.

Deux raisons à cela. D’abord, cette situation ex ante où derrière le voile d’ignorance nous ne saurions pas qui nous serons n’existe pas vraiment. Le contexte familial, le groupe social auquel nous appartenons et bien d’autres indices donnent déjà une information sur les chances que chacun de nous a de tomber dans l’une ou l’autre catégorie. Ensuite, même si le voile d’ignorance était aussi opaque qu’on le voudrait, il pourrait y avoir une tentation pour les bourreaux du travail de se faire passer pour des paresseux si les transferts d’un groupe à l’autre sont élevés et dépassent les gains monétaires et psychologiques d’une occupation épanouissante et rémunératrice. Ces deux phénomènes portent dans notre jargon d’économistes les noms de sélection adverse et d’alea moral.

Tout ceci pour dire que de l’Eloge à la paresse du beau fils de Karl Marx (1) à la pratique, il y a un grand pas que seuls les utopistes et les rêveurs ont pu franchir.

(1) Paul Lafargue, Le droit à la paresse , Ed. Climats, 1883, 89 p. Edition disponible en ligne.

1 commentaire:

  1. A lire le très ancien livre de Jacques Leclercq

    http://www.lalibre.be/archive/eloge-de-la-paresse-51b8b39ee4b0de6db9b92c07

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