mardi 9 septembre 2014

Faire mieux avec moins


Pierre Pestieau

 Le Monde du 23 juillet 2014 publiait un article au titre qui ne pouvait laisser indifférent : « La France dépense plus que ses voisins, mais pour quels résultats ? » Cet article résumait une note de France Stratégie (1), l'ancien Commissariat général à la stratégie et à la prospective. La principale conclusion de cette note était que le système de retraites, la santé et l'enseignement secondaire coûtent cher à la France, en tout cas plus cher qu'aux autres pays européens, et ce pour des résultats qui ne sont guère brillants.

Quand on lit cela, la réaction est immédiate : adoptons les pratiques des pays voisins et du coup dépensons moins pour obtenir les même résultats. Une telle politique serait bienvenue dans un pays qui connaît un taux d’endettement insoutenable et qui est pressé de toutes parts de réduire le montant de ses dépenses publiques (2).


A lire la note de France Stratégie on se pose plusieurs questions. D’abord à supposer que ses calculs soient corrects comment peut-on concrètement réformer les trois postes de dépenses visés, à savoir les retraites, la santé et l’enseignement secondaire, qui expliqueraient presque à eux seuls le différentiel avec les voisins ?  Les obstacles politiques sont évidents. Toucher à l’un de ces postes peut mettre tout le pays dans la rue et faire tomber un gouvernement.  Mais bien plus que cela, il y a la manière dont ces postes peuvent être réformés. Pour l’enseignement on sait qu’il faudrait une véritable révolution culturelle avec changement des mentalités et des comportements de la part des enseignants mais aussi de l’administration et des familles. Pour les retraites, il y a sans doute moyen de rendre le système plus redistributif qu’il ne l’est mais cela pose des questions d’incitations dans la mesure où les prestations ne seraient plus liées aux contributions. Enfin pour la santé, il faut du temps pour que les différents acteurs, les patients, les médecins, les groupes pharmaceutiques, les hôpitaux et enfin l’Etat s’adaptent à un système plus efficace étant donné la divergence de leurs motivations.

Mais les calculs sont-ils corrects ? Je ne discuterai pas les variables prises pour mesurer la performance. Ils ne sont pas indiscutables mais ils sont défendables  dans l’état actuel des données disponibles. Par exemple pour l’enseignement secondaire, l’indicateur de performance utilisé combine trois indicateurs partiels : le score PISA, la fraction de diplômés du secondaire et le taux de décrochage. En revanche il est discutable de mettre ces indicateurs de performance en comparaison avec les dépenses de chacun des postes étudiés (3). On sait en effet que la technologie qui sous-tend la formation d’élèves du secondaire, pour prendre cet exemple, ne se réduit pas à une relation binaire qualité de l’enseignement-dépenses d’enseignement. Bien d’autres facteurs interviennent : la famille, la culture, l’environnement socio-économique. Plusieurs études indiquent d’ailleurs qu’il existe une relation négative entre performance et dépenses publiques d’enseignement. Ce qui est tout à fait normal. On s’attend en effet à ce que les pouvoirs publics investissent davantage là où les élèves ont le plus de difficultés.

Autre objection, la variable ‘dépenses publiques’ que les auteurs utilisent. Non seulement elle ne devrait intervenir qu’avec d’autres dans une mesure correcte de l’efficacité mais en outre elles ne représentent pas correctement le rôle financier de l’Etat. Nous prendrons l’exemple des retraites. Dans un pays comme la France les prestations de retraite sont soumises à la taxation. Il ne faudrait que retenir la partie nette d’impôt pour appréhender correctement l’effort financier de la collectivité. Dans un pays comme les Pays Bas, l’essentiel du système de retraite est privé et fondé sur la capitalisation, mais dans la mesure où il est obligatoire, le système peut être considéré comme public. Si l’on compare France et Pays Bas en termes de retraites publiques ‘sensu stricto’, la différence est énorme alors qu’elle disparaît si on adopte une définition plus large et plus correcte des retraites publiques.

Dernière remarque, les auteurs de la note font le choix de mesurer les taux d'inefficacité en termes d’inputs, ce qui donne des valeurs extravagantes (50% d’inefficacité dans les postes retraites et enseignement secondaire!).

Pour revenir au titre du Monde, il est incontestable que la France dépense plus que la majorité de ses voisins surtout pour les retraites, la santé et l’éducation. En revanche, il n’est pas avéré qu’elle soit moins efficace.



(1) <http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/NA-FS-Depenses-publiques-OK.pdf>
(2) La France compte sept points au-dessus de la moyenne de la zone euro avec 54 % de sa richesse nationale consacrée à la dépense publique primaire (hors intérêts de la dette).
(3) Voir Mathieu Lefebvre et Pierre Pestieau, L’Etat-providence en Europe. Performance et dumping social, Editions du CEPREMAP, Paris, 2012, 80 p.

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