mercredi 5 mars 2014

Le nombril du monde


Pierre Pestieau

L’hebdomadaire libéral The Economist faisait observer récemment (1) qu’il y avait un sérieux biais dans le choix des pays étudiés par les économistes. En bref, les Etats-Unis se taillent la part du lion. Si l’on prend un large échantillon de revues économiques, les Etats-Unis à eux seuls sont plus étudiés que l’ensemble des autres pays. Ce biais est renforcé si on se limite aux revues les plus prisées, celles qui font partie des fameux « top five ».

Si on entrait dans le détail, on remarquerait que des pays comme le Royaume-Uni ou la Suède sont davantage étudiés que la France ou le Portugal. La Suède surtout, depuis que le Prix Nobel en économie a été créé.
Cela peut s’expliquer en partie par le besoin d’un cadre de référence universellement accepté pour traiter de problèmes divers. Tout le monde sait ce que IRS (Internal Revenue Service) veut dire ; on en a même fait une bande dessinée. En revanche, l’équivalent dans les autres pays serait incompréhensible pour la majorité. Tous les économistes qui travaillent sur la question des pensions connaissent le fonctionnement du système américain, beaucoup plus que celui qui prévaut dans les pays voisins.
A côte de ce biais de sélection, il existe un autre biais qui à mon sens est beaucoup plus important et plus insidieux. Il s’agit de l’agenda des recherches qui pour l’essentiel nous est dicté par nos collègues américains. Le rejet de l’analyse normative au profit d’approches positives, le succès de l’économie politique et de l’économie expérimentale, la vision négative du secteur public sont à cet égard symptomatiques.

L’attitude des économistes vis-à-vis des questions de pauvreté et d’inégalité est aussi exemplaire. On assiste aujourd’hui au retour des inégalités, surtout aux extrémités de la distribution : les très riches confisquent l’essentiel des gains la croissance et les plus pauvres sont de plus en plus nombreux. Et pourtant les économistes se désintéressent du problème, le laissant aux autres sciences sociales et choisissent d’envahir. Ce désintérêt se manifeste non seulement aux Etats-Unis mais encore plus dans les autres pays, et surtout dans les pays émergents.

Je prendrai un exemple qui me touche personnellement celui de la recherche et de l’enseignement de l’économie publique et des finances publiques. Dans tous les départements d’économie, on trouvait il y a 40 ans, un ou deux enseignants dans ces matières. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et pourtant le secteur public n’a jamais été si important dans la plupart des pays. Même remarque pour les publications ; la part de l’économie publique dans les publications a fortement baissé durant les 40 dernières années.

Que faire ? Attendre le retour du balancier ?

(1) Daté du 4 janvier 2014. 

1 commentaire:

  1. Cher Pierre: je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi. Les travaux de Thomas Piketty et d'Emmanuel Saez sur les inégalités ne sont pas la majorité des travaux en économie, évidemment, mais ils ont été publiés dans des revues américaines de premier plan. L'article le plus cité de Thomas et Emmanuel (1656 fois selon Google Scholar) est: "Income inequality in the United States, 1913–1998", publié au Quarterly Journal of Economics. C'est peut-être insuffisance, mais au moins la dynamique est déjà enclenchée!
    Micael

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