mercredi 5 février 2014

Les ayant droits


Pierre Pestieau
Prenez un couple de retraités qui disposent d’un certain patrimoine. Peut-il disposer de ce patrimoine à sa guise? Rien n’est moins sur. D’autres qu’eux peuvent penser qu’ils ont un certain droit sur leur patrimoine. L’Etat d’abord qui prélèvera des droits de succession à leur mort ou même plus tôt s’ils procèdent à des donations de leur vivant. Et puis il y a les enfants qui peuvent penser qu’ils y ont droit, d’autant plus qu’ils ont des difficultés financières. 
Deux exemples, l’un tiré d’un film récent et l’autre de plusieurs situations vécues. Je ne me souviens plus du film mais bien de la séquence. Un petit bistrot parisien; un père et sa fille déjeunent. Le père est un septuagénaire encore vert; il est visiblement financièrement à l’aise. Sa fille a trois enfants et un revenu décent mais donne l’impression de tirer le diable par la queue. D’où sa réflexion. « Papa, n’est-ce pas injuste que tu vives encore. Si tu mourrais j’hériterais de ton patrimoine et toutes mes difficultés financières disparaitraient ». Ce à quoi le père répond en utilisant un argument de responsabilité. Elle a choisi de vivre comme elle vit.

L’autre exemple est celui de cet ami qui réussit après de nombreuses tentatives infructueuses à placer ses parents dans une maison de soins de bon standing. Cela s’imposait parce que physiquement et mentalement ils ne pouvaient plus vivre seuls. Informant ses frères et sœurs du coût de cette maison, il est surpris et choqué par leur hostilité à ce choix. « Pourquoi pas une maison moins chère qui n’aurait pas entamé le patrimoine familial sur lequel nous comptions à la mort de nos parents ? »

Ce ne sont là que des anecdotes ; elles représentent cependant une certaine réalité. Pas la seule, car le cas le plus courant est celui de parents qui se sacrifient, se saignent à blanc,  pour venir en aide à des enfants, qui n’en ont pas nécessairement besoin. De nombreux travaux l’ont montré, l’altruisme descendant est plus intense que l’altruisme ascendant et les transferts descendants nettement plus élevés que les transferts ascendants. Cette asymétrie explique le rôle des pouvoirs publics dans les retraites et les soins de santés, qui représentent des transferts ascendants.

Pendant les décennies de croissance prolongée, la norme était que les enfants vivaient plus confortablement que leurs parents ; dans ces circonstances, les legs étaient bienvenus mais ne paraissaient pas indispensables d’autant plus qu’ils avaient lieu lorsque le légataire avait dépassé la cinquantaine. Avec le prolongement de la crise, il est fréquent que les enfants aient une vie moins confortable et surtout plus précaire que leurs parents. C’est dans ces circonstances que les héritages et surtout les donations sont les bienvenus. Et c’est dans ce contexte que des enfants peuvent se mettre à penser que leurs parents manquent de générosité à leur égard.

Ajoutons que certaines législations prévoient ces situations en incluant explicitement un devoir d’aide des parents à l’égard de leurs jeunes enfants mais aussi des enfants à l’égard de leurs vieux parents. L’exemple de Tanguy, un enfant qui frise toute de même la trentaine et qui menace de traîner ses parents devant les tribunaux, est encore dans les mémoires. Que je sache, il n’existe pas d’obligation légale des parents à l’égard de leurs enfants adultes. Il y a bien sûr dans de nombreux pays l’obligation de léguer son patrimoine à ses enfants et ce, de façon égalitaire.

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