Victor Ginsburgh
Nous sortons de l’époque des cadeaux, mais il faut savoir que les êtres
humains ne sont pas, et de loin, les seuls à en faire. Les animaux s’en donnent
aussi à cœur joie, mais sans doute pour des raisons plus terre-à-terre que
nous—et encore, puisqu’ils sont souvent associés à la reproduction de l’espèce,
comme le raconterait un vulgaire darwiniste.
Les dons que se font les animaux sont en fait des cadeaux nuptiaux, un peu comme lorsque—en tout cas quand nous étions jeunes— nous invitions l’être dont
nous étions tombés amoureux au restaurant ou au dancing, et que nous dessinions
où nous pouvions, par exemple sur un arbre, un cœur transpercé d’une fléchette,
dont rien que l’image nous faisait bien évidemment souffrir.
Un phénomène similaire existe chez certains serpents qui se promènent dans nos
jardins. Ils sont hermaphrodites, chacun produisant aussi bien des œufs que du
sperme, mais doivent tout de même s’accoupler longuement pour assurer leur
progéniture. C’est pourquoi, avant de s’unir tendrement, le serpent envoie avec
une force redoutable à sa ou son désiré une fléchette d’amour qui ressemble à
un harpon et qui est produite dans sa région génitale. Ce harpon se fiche dans
n’importe quelle partie du corps de sa « proie » en délivrant une
puissante hormone d’amour, nous dirions un philtre. L’autre serpent répond de
la même façon. A la suite de quoi, ils se mettent à faire ce qu’il faut pour
donner le jour à de mignons petits serpenteaux (1).