mercredi 18 septembre 2013

La Pompei du désert syrien


Victor Ginsburgh

Je viens de lire un article (1) qui relate la chute du fort romain dénommé « la Pompei du désert syrien » du côté de Dura Europos (en Mésopotamie, aujourd’hui en Syrie) en 256 de notre ère (2). On y a trouvé 19 tombes de Romains qui ne sont pas morts par le glaive ou le feu mais ont été gazés par des attaquants Sassanides.

Et ce n’est pas la première fois que des produits toxiques sont utilisés ni dans la région, ni ailleurs. En 590 av. J.-C. les Phocéens de Kirra (une cité qui contrôlait la route entre le Golfe de Corinthe et Delphes) ont vu leur eau potable empoisonnée par des ennemis qui ont utilisé de l’hellébore, dite rose de Noël, comme c’est joli, mais c’est aussi un purgatif puissant. Durant la guerre du Péloponnèse, les Spartiates ont utilisé des gaz toxiques en brûlant du sulfure.

Au 4ème siècle av. J. C., les archers indiens qui affrontaient Alexandre le Grand trempaient les pointes de leurs flèches dans du venin de cobra et en Inde comme en Chine, la fumée était utilisée pour déloger les ennemis. Au 15ème siècle, Léonard de Vinci a pensé à des bombes explosives contenant de l’arsenic et du sulfure.
Effets des 80 millions de litres d'agent orange au Vietnam

Et on connaît la suite qui n’a fait qu’embellir. Quelque 125.000 tonnes de gaz chimiques ont été utilisés durant la guerre 1914-1918. Sans oublier le Zyklon B d’Auschwitz ou les 80 millions de litres d’agent orange (un inoffensif défoliant) déversés sur le Vietnam par les Etats-Unis entre 1961 et 1971.

Que celui qui n’a pas son petit stock de gaz toxique lève le petit doigt. Mais il ne faudra pas s’étonner si la France, la Russie, les Etats-Unis, ou Israël qui demandent la destruction des stocks syriens ne lèvent pas le leur quand on leur posera  la question. A ce jour, 189 Etats ont signé ou adhéré à la Chemical Weapons Convention (3) qui interdit la production, le stockage et l’utilisation d’armes chimiques. Quatre pays (l’Angola, l’Egypte, la Corée du Nord et le Sud Soudan) ne l’ont pas signée et deux pays l’ont signée mais ne l’ont pas ratifiée : le Myanmar et Israël.

Et ceux du gaz sarin en Syrie
C’est d’autant plus paradoxal (si l’on peut dire) que le premier ministre israélien aurait exhorté l’administration américaine et le ministre des affaires étrangères Kerry à accepter la proposition diplomatique suggérée par la Russie (4) de détruire les stocks d’armes chimiques syriens. Le cabinet de M. Netanyahou dément ce propos.

Je ne suis pas expert en armes, encore moins en armes chimiques et je déteste toutes les armes quelles qu’elles soient et d’où qu’elles viennent. Pas seulement les syriennes. Le mal banalisé chez soi : on suit, comme le dit Hannah Arendt, ses propres règles en restant aveugle à leurs conséquences morales. Pas seulement en Syrie.


(1) Simon James, Stratagems, Combat and chemical warfare in the siege mines of Dura-Europos, American Journal of Archeology 115 (2011), 69-101.
(2) Des équipes belges (de l’Université Libre de Bruxelles) et françaises ont participé aux fouilles dans la région, et notamment à Apamée depuis les années 1930.
(4) Barak Ravid, Report: Netanyahou urged U.S. to accept Russian deal on Syria’s chemical arms, Haaretz, September 16, 2013.

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