La circulation à Bruxelles : On a gagné

Victor Ginsburgh

Enfin, Bruxelles a fait mieux que Paris. Tous les indicateurs (et les journaux) rapportent que la Belgique est « championne d’Europe des embouteillages » (1) et que Bruxelles est en tête du classement des villes, bien mieux que Paris, Londres, Milan et Los Angeles.

Nos ingénieux ingénieurs (pour parler comme Boris Vian) ont donc réussi là où les Français ont raté. Décidément, la décadence et la désindustrialisation françaises semblent réelles. D’ailleurs j’entendais, l’autre jour, une rédactrice du Larousse dire « j’eSSplique » et « eXetara », preuve qu’elle parvenait à prononcer correctement le X, mais pas au bon endroit.

Faut quand même que j’eSSplique à nos pays voisins comment la circulation à BruKSelles est réglée et qu’ils fassent mieux que nous. Sur le chemin que je prends tous les jours de mon domicile à l’Université et vice-versa, j’emprunte un des axes les plus importants de Bruxelles, l’avenue Louise. Il s’agit d’une avenue très chic, ornementée de trois tunnels, de deux bandes de circulation dans chaque sens, de voies latérales de chaque côté, séparée des voies centrales par de majestueux marronniers, des pistes cyclables. Et, en site propre, entre les marronniers, un tramway, le T3000 dont chaque rame fait 32 mètres de long, un nouvel exploit des ingénieurs, où « l’argent combiné au bronze, au cuivre ou à l’or, remplace le jaune et le bleu » de ses ancêtres (2). Dès qu’un feu de circulation devient vert dans un sens, le suivant devient rouge ; impossible de passer plus d’un feu à la fois, même si on respecte strictement la vitesse permise et ce, quelque soit le sens dans lequel on prend l’avenue. Une réussite, si on voulait le faire, on ne pourrait pas et dont l’avenue Louise n’est qu’un exemple. Nos ingénieux ingénieurs devraient aller voir comment les Australiens s’arrangent !

Le tramway T3000 y passe évidemment allègrement, puisqu’il règle lui-même les feux, mais dès que ses 32 mètres doivent tourner, ça bloque comme dans les rues dans lesquelles il doit passer par la suite — voyez l’image sur laquelle il faut lire Bordet Station. Honni soit qui avait pris le T pour un L —. Les ingénieurs avaient oublié ce détail. Comme d’ailleurs celui des camions de livraison atteints de gigantisme.

Les rues à sens unique peuvent évidemment être empruntées dans les deux sens par les cyclistes, et leur arrivée à gauche alors que la priorité de droite est de rigueur est toujours une très agréable surprise pour   l’automobiliste. Les casse-vitesse tous les 100 mètres, fabriqués à coups de pas mal de milliers d’euros chacun—tiens, qui est le producteur ?—sont là pour rappeler qu’il faut rouler lentement, sans quoi le contrôle technique—tiens encore un producteur—vous le rappellera en refusant à votre véhicule l’autorisation de rouler sans réparation et nouveau passage au contrôle technique. Qui encaisse deux fois bien sûr.

Quant aux passages pour piétons qui devraient pourtant être bien utiles, ils ne le sont guère puisque, à la grande joie des automobilistes, les piétons passent là où ça leur chante.

On ne cesse de s’étonner que Bruxelles soit embouteillée. Et il faudrait peut-être arrêter de dire que c’est dû aux « provinciaux ». A moins que ces derniers ne soient aussi des ingénieurs de la circulation.

Très bonne en amendes dès qu’on dépasse la vitesse autorisée, la Belgique devrait aussi penser au nouveau concept auquel l’ingénieux ingénieur (commercial) que je suis, vient d’inventer : les « démendes », qui seraient payées à tout automobiliste flashé par un radar alors que, pris dans un embouteillage, il est à l’arrêt.

Y a quand même encore des gens qui pensent dans ce pays bloqué par les joyeux camionneurs.

(1) RTBF Info, 30 août 2013. http://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-belgique-championne-d-europe-des-embouteillages?id=8077825

(2) Voir Tramway de Bruxelles sur Wikipedia, http://fr.wikipedia