mardi 27 août 2013

Il n’y a pas de petits larcins, il n’y a que des grands banquiers


Victor Ginsburgh

Jacob Frenkel, un célèbre économiste, docteur en sciences économiques de l’Université de Chicago, auteur d’un très grand nombre d’articles en théorie macroéconomique et monétaire (1), actuellement Président de la JPMorgan Chase International et avant cela Vice-Président de l’American International Group (AIG) et Président de Merril Lynch International, membre de l’Académie Américaine des Arts et Sciences, titulaire de nombreux prix, dont le Prix Israël en Economie, s’est vu pincer il y a quelques années (en 2006) à l’aéroport de Hong Kong parce qu’il était sorti d’une boutique de luxe en tenant dans la main, une valise qualifiée de chère, qu’il avait « omis » de payer.

Un petit malheur l’a rattrapé. Pressenti pour devenir Gouverneur de la Banque Centrale d’Israël, il a été interviewé, comme il se doit. Il a, hélas, oublié de déclarer qu’il avait été arrêté, détenu et jugé pour vol par une cour de Hong Kong, et a été choisi pour le poste (qu’il avait d’ailleurs déjà occupé entre 1991 et 2000). Bien sûr, quelqu’un de bien intentionné s’est rappelé du fait et l’a aussitôt fait paraître (2) dans la presse.

M. Frenkel a, en toute honnêteté, immédiatement, renoncé à sa candidature, tout en déclarant qu’il s’agissait d’un malentendu : « Cela s’est passé dans la zone duty free de Hong Kong… Ils ont pensé, a-t-il déclaré, que j’étais sorti avec une grande valise que je n’avais pas payée. En réalité, je m’étais arrangé avec une amie qui devait se mettre dans la file à la caisse et payer », mais ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé. « Les autorités de Hong Kong » continue M. Frenkel, « sont arrivées à la conclusion qu’il s’agissait en effet d’un malentendu et ont exprimé leurs regrets et marqué leur satisfaction que je n’introduise pas une action contre eux pour me faire dédommager du préjudice subi» (3), (4).

Quelques jours après (le 7 août 2013) cet incident tout compte fait mineur dans le chef d’un banquier, une profession dans laquelle bien d’autres ont fait bien pire, les autorités de Hong Kong ont confirmé que M. Frenkel avait en effet été arrêté, accusé de larcin et nient s’être excusées auprès de lui, comme il l’a prétendu (4).

Voilà ce que c’est de voler à l’étalage, il n’y a pas que ceux qui y piquent une orange ou une bière qui se font prendre. Cela arrive même aux banquiers. La seule chose à faire quand on est un banquier sérieux, c’est de se placer non pas devant (parce qu’on pourrait se faire voler) mais derrière son bureau au sommet d’une tour à Wall Street ou dans la City et de voler quelques dizaines, voire centaines de milliards. Ca, ça paie, et on n’est pas poursuivi, ou si peu.

Pourquoi pensez-vous que Jerôme Kerviel, trader à la Société Générale à Paris, Fabrice Tourre, trader chez Goldman Sachs à New York, Javier Martin-Artajo et Julien Grout deux traders de JPMorgan à Londres se sont fait coincer ? Parce qu’ils étaient devant le bureau du chef et pas derrière. Le chef a ses garde-corps.

(2) Vous noterez, en passant que je continue à utiliser l’ancienne orthographe française qui imposait l’accent circonflexe dans le mot « paraître ». Tout fout le camp !
(3) Haaretz, 29 juillet 2013, http://www.haaretz.com/news/national/.premium-1.540263
(4) Haaretz, 7 août 2013, http://www.haaretz.com/news/national/.premium-1.540263

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