Pierre Pestieau
Dans La Plaisanterie de Milan Kundera (1967) ou dans La Tache de Philip Roth (2000), un mot
malheureux entraîne le héros dans une véritable descente aux enfers. Il a beau
expliquer qu’il ne voulait pas dire ce qu’on a cru qu’il avait dit. Ç’est
inutile. Au contraire ça l’enfonce davantage dans un cauchemar à la Kafka. C’est
ce que montrent ces deux remarquables romans. C’est à eux que j’ai pensé quand
j’ai reçu un courrier me reprochant d’avoir utilisé dans un petit ouvrage publié
récemment avec Mathieu Lefebvre (1) une phrase qui témoignerait d’opinions et d’attitudes misogynes.
Cette phrase donnée hors contexte se lit :
« Très
longtemps, la famille était le vecteur de protection sociale le plus efficace.
Elle l'est de moins en moins pour diverses raisons. La mobilité géographique,
le travail des femmes, la nucléarisation de la famille, tout cela contribue à
une certaine déliquescence de la solidarité familiale. »
Ma surprise fut grande parce que
j’utilise souvent cette expression dans mes travaux sur la dépendance. On sait
que l’augmentation de la longévité, entraîne une augmentation des besoins de
soins à la dépendance. Ils devraient plus que doubler d’ici à 2050. Or la
principale source de soins à la dépendance est la famille et dans la famille la
grosse majorité de ce que l’on appelle les « aidants naturels » sont
les femmes, les filles et les épouses ; les fils et les maris sont on ne peut
plus « discrets ». On observe par ailleurs que la participation croissante
et prolongée des femmes dans le marché du travail réduit le temps disponible
aux tâches de soins, soins aux enfants, soins aux parents souffrant de perte d’autonomie.
On remarque enfin que même si elles sont engagées dans le marché du travail,
les femmes souffrent d’une « double peine » : elles continuent
de s’occuper de leur foyer et d’assurer ces soins à la dépendance, mais la
contrainte de temps limite leur disponibilité. Il existe d’ailleurs des études
empiriques indiquant qu’une des raisons pour lesquelles certaines femmes
prennent une retraite anticipée est l’apparition d’un phénomène de dépendance
dans la famille, cette décision étant d’autant plus fréquente que leur salaire
est faible et le coût marchand de la dépendance élevé.
Très souvent dans ces mêmes
travaux, j’ai insisté sur les coûts psychologiques et physiques qu’entraînaient
ces activités de soins et sur le fait que de nombreuses femmes sont souvent
plus contraintes que volontaires quand il s’agit de les assurer. J’ai introduit
à l’occasion le concept d’altruisme
contraint fondé sur un norme familiale et non sur le libre arbitre. Ces coûts
encourus par les aidants naturels sont d’autant plus élevés que l’aide est
combinée avec un travail professionnel ou que l’aide n’est pas vraiment
volontaire.
J’ai consacré plusieurs travaux à
défendre le développement d’une véritable assurance sociale de la dépendance,
ce que les Français ont appelés le cinquième
risque, pour éviter que ces situations d’aide contrainte ne se multiplient.
En permettant l’institutionnalisation de parents lourdement dépendants on évite
à de nombreuses femmes de s’épuiser à la tâche et de perdre elle-même la santé.
On a pu ainsi montrer que les coûts indirects de la dépendance, encourus par
les aidants naturels, sont aussi élevés que les coûts directs, qu’entraîne la
prise en charge des personnes dépendantes. Ce n’est pas par hasard que l’on
observe depuis quelques années un léger déclin de la longévité en bonne santé
chez les femmes qui continuent vivre de plus en plus longtemps.
Sans doute devrais-je dépasser le
stade descriptif et déplorer le monde dans lequel nous vivons. Les hommes ont réduit
leur participation au marché du travail et n’ont pas pris dans le ménage la
place des femmes en devenant eux aussi « des aidants naturels ». En
touchant des revenus supérieurs à ceux des femmes, ils ont beau jeu de demander
à ces dernières d’arrêter de travailler pour s’occuper de parents dépendants au
nom d’une saine économie domestique. Dois-je chaque fois me réjouir de cette
participation accrue des femmes dans le marché du travail,
participation qui leur permet d’échapper à cet altruisme forcé auquel il a été
fait allusion ?
En conséquence, il me faudra à l’avenir
faire une note de bas page aussi longue que ce blog dès que j’observe que les
femmes travaillant de plus en plus et de plus en plus tard, on peut craindre
que la famille ne puisse plus jouer son rôle historique devant les besoins
croissants d’aide à la dépendance. Une chanson à succès
(2) nous disait : Etre une femme libérée tu sais c'est
pas si facile. Je la paraphraserais en écrivant : Etre un homme féministe tu sais c'est pas si facile, c’est sans doute
impossible.
(1) L’Etat-providence en Europe, Performance et dumping social,
CEPREMAP, Paris, 2012.
c'est un très bel article et tellement vrai malheureusement!!!
RépondreSupprimerDe plus après un arrêt de travail, il faut se recycler. Moi je l'ai fait maintenant je travaille dans une société où nous vendons des échographes reconditionnés "http://mediset-imagerie.fr/fr/accueil.html." Il faut avoir le courage mais ça vaut le coup et ça nous aide à avancer!!!