jeudi 30 mai 2013

Brèves de défouloir


Pierre Pestieau

Gérer autrement
Dans un rapport (1) diffusé récemment et intitulé Gérer les enseignants autrement, la Cour des comptes française présente une analyse qui semble sortir tout droit d’une des nombreuses études consacrées par les économistes à la performance de l’éducation nationale et plus généralement des services publics. On y trouve des affirmations banales pour les économistes mais terriblement dérangeantes pour une bonne partie de l’opinion et en première ligne les enseignants. Notamment : « Le ministère de l’Education ne souffre pas d’un manque de moyens budgétaires ou d’un nombre trop faible d’enseignants mais d’une utilisation défaillante des moyens existants ». Autrement dit, on peut faire mieux à coût égal. Le rapport signale toute une série de dysfonctionnements qui sont autant de marges de manœuvre qui pourraient servir à revaloriser les enseignants, rétribués en dessous de la moyenne européenne hormis en fin de carrière. Ce qui me frappe dans ce rapport n’est pas le contenu mais ses auteurs : des magistrats.  C’est à croire que ceux qui désespèrent de voir la performance de l’Etat providence s’améliorer au travers de reformes entreprises ailleurs (dans les pays nordiques en particulier) devraient s’appuyer sur des magistrats qui peut être possèdent plus de prestige et d’autorité que les experts universitaires ou les cabinets de conseil privés.

Mobilité cognitive
Depuis la chute du rideau de fer, plus de 10% des mathématiciens de l’ancienne URSS ont émigré. Beaucoup, surtout les meilleurs, ont été accueillis aux Etats-Unis. Cet afflux soudain aurait obligé les mathématiciens américains d’émigrer à leur tour non pas dans l’espace géographique mais dans l’espace des idées. C’est ce que Borjas et Doran (2) appellent de la mobilité cognitive : Un phénomène qui doit se produire lors d’un afflux massif de scientifiques ou d’artistes de haut niveau ?

Ce que les Belges préfèrent
Parmi les messages publicitaires électroniques que j’ai reçus récemment, il en est un qui a retenu mon attention. Il s’intitulait Le chèque repas : l’avantage extra-légal préféré des Belges. Une économie de 56% par rapport à du salaire. Après une première réaction visant à me désinscrire, je me suis interrogé sur l’ironie de ce message ; c’est un peu comme si le syndicat du crime publiait dans tous les journaux Le cannabis : drogue préférée des Belges. Car on ne le répètera pas assez les chèques repas et autres voitures de fonction sont un poison pour notre fiscalité. Ils réduisent la base de l’impôt et conduisent à des taux d’imposition prohibitifs. Si l’on pouvait supprimer ces niches fiscales, nous aurions une fiscalité plus efficace et plus équitable.

Frilosité mortifère
Un thésard camerounais rencontré il y a un an avait obtenu une bourse pour passer un semestre dans le département d’économie de l’Université de Liège. Il attendait beaucoup de cette première expérience hors d’Afrique. Malheureusement malgré ses nombreux efforts, il n’a pas reçu le visa qui lui aurait permis de nous visiter.  Son séjour aurait été financé par un organisme de coopération international ; son retour au pays après six mois était garanti. Pourquoi tant de frilosité ? La Belgique a tout à y perdre.

Des chiffres à tout prix
Le 24 mars tous les journaux du pays ont publié la même nouvelle fracassante : L’économie au noir estimée à 63 milliards en Belgique. Elle représenterait aujourd’hui 16,4% du produit intérieur brut, un peu moins que les 17,8% de 2009, mais beaucoup plus que les 9,7% « observés » en France. Et le ministre en charge de la lutte contre la fraude fiscale de se féliciter de cette diminution. Il déclarait aussitôt : « Nous sommes sur la bonne voie ». J’ai déjà eu l’occasion dans ce blog d’expliquer pourquoi ces chiffres sont hautement fantaisistes, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y pas d’économie au noir en Belgique. Quelle en est l’importance ? Est-elle en hausse ? Est-elle plus élevée qu’en France ? On ne le sait pas et si vous voulez une réponse adressez-vous plutôt à Mme Soleil ou autre voyante qu’à cet expert qui fournit des estimations au dixième de pour cent près.

Frugalité et morale
Militant et collecteur de fonds, l’américain Dan Pallotta dénonce les obstacles dont souffrent les organisations caritatives, obstacles qui les empêchent de réaliser leurs missions. Il nous rappelle dans un clip que je vous recommande (3) que les contributions charitables ne représentent que 2% du PIB américain et que ce taux n’évolue pas depuis plusieurs décades. Il voit la raison majeure de cette stagnation dans leur culture de la frugalité : peu de frais généraux, faibles rémunérations des gestionnaires, campagnes publicitaires minimales. Il reproche au secteur philanthropique  d'assimiler la frugalité à la morale, et il lui demande d’abandonner cette approche de patronage.
Pas un seul mot sur la possibilité de s’appuyer sur l’Etat pour remplir ces missions que sont la lutte contre la pauvreté, le financement de la recherche fondamentale , la protection de l’environnement et le soutien à la production artistique. On croit rêver.
Cela me ramène à une anecdote. Il y a une quinzaine d’années un de mes amis collectait des fonds pour la recherche consacrée à la lutte contre la pauvreté et la faim dans le Tiers Monde. Il recevait à Liège les donateurs potentiels dans les meilleurs restaurants de la ville. Souvent ils venaient d’agences de développement de pays nordiques. Et il m’invitait parfois à ces agapes. Devant mon étonnement devant ces dépenses de table pour obtenir des fonds pour lutter contre la faim, il m’expliquait patiemment que par expérience les contributions qu’il recevait étaient fonction de la générosité de son accueil, plus précisément de la qualité des vins et des plats. C’était sans doute vrai en l’occurrence mais ne me rassurait guère.

(1) <http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Gerer-les-enseignants-autrement>
(2) George Borjas et Dirk Doran (2013), Cognitive mobility: labor market responses to supply shocks in space of ideas, NBER Working Paper 18614
(3) <http://www.ted.com/talks/dan_pallotta_the_way_we_think_about_charity_is_dead_wrong.html>

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