jeudi 18 octobre 2012

Quand l’économie rencontre l’absurdie


Pierre Pestieau
Il est frappant de voir la difficulté que les économistes éprouvent à résoudre des questions touchant à la crise financière, au chômage ou à la pauvreté et la facilité avec laquelle ils traitent de problèmes futiles. On les voit aborder et s’emparer à la hussarde de terres voisine. C’est ainsi qu’on les trouve envahissant les domaines de la psychologie, de l’histoire et de la biologie, faisant parfois la leçon à des gens qui y ont consacré toute leur vie.  
Voici un exemple de cette fuite de responsabilité qui dépasse tous les autres. Hugo Mialon, professeur à Emory University est comme tout économiste qui se respecte, un partisan de la théorie du choix rationnel. Il considère que l’homme, au niveau individuel, fait toujours le meilleur choix possible ou le moins désavantageux pour lui. Ce collègue pousse le raisonnement très loin en estimant qu’il n’y aurait pas de raison que l’acte d’amour échappe à cette rationalité, notamment le fait de simuler. Dans un article récent (1), qui reprend des éléments développés dans sa thèse soutenue en 2004, il construit un modèle théorique en s’inspirant de plusieurs postulats (ou résultats), tirés des recherches sur la sexualité : (a) la probabilité de simuler est plus grande pour les femmes que pour les hommes, même s’ils le peuvent aussi ; (b) les pulsions sexuelles des hommes sont au plus haut à la fin de l’adolescence et diminuent par la suite ; chez les femmes, elles augmentent petit à petit pour atteindre un pic à la fin de la vingtaine et redescendre ensuite ; (c) aux âges où l’envie sexuelle est à son sommet, hommes et femmes auraient moins tendance ou besoin de simuler.
Pour tester son modèle, Mialon utilise les données du 2000 Orgasm Survey, une étude faite par PsychTests, une entreprise spécialisée dans les statistiques en ligne, en se concentrant sur les réponses des hétérosexuels de plus de 18 ans. Selon cette étude, 72% des femmes ont simulé le plaisir au moins une fois lors de leurs récentes relations (24% des hommes), et 55% des hommes considèrent qu’ils sont capables de savoir quand leur partenaire ment.
Il obtient des résultats qui correspondent aux prévisions de son modèle théorique. Les hommes d’âge moyen ou âgés sont plus susceptibles de simuler que les jeunes, les femmes jeunes et âgées sont plus susceptibles de le faire que les femmes d’âge moyen. En outre, plus on est amoureux, plus cela peut pousser à simuler. L’amour est vu en économie comme appartenant au principe du don. Mialon ajoute à cet altruisme, la volonté d’être ensemble. Il apparaît économiquement rationnel de simuler pour faire plaisir à l’autre, ce qui a pour effet de renforcer le couple et du coup améliorer son bonheur personnel. A l’inverse, quand on apprécie peu quelqu’un, on a moins tendance à faire semblant. De plus, la probabilité que le partenaire comprenne que l’on simule, diminue les tentatives de tricher.
Tout cela est assez désolant et déprimant. Plutôt que de retrouver sur la toile les travaux de ce cher collègue, je vous suggère de revoir le film Quand Harry rencontre Sally et la séquence ou Sally joue à simuler l’orgasme au milieu d’un restaurant.
 (1) Hugo M. Mialon, The economics of faking ecstasy, Economic Inquiry 50(1), January 2012, 277-285 http://userwww.service.emory.edu/%7Ehmialon/Ecstasy.pdf

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