jeudi 14 juin 2012

Les deux pensées uniques

Pierre Pestieau

En lisant l’ouvrage de Mauduit (1), dont j’ai parlé il y a quelques semaines, j’ai été frappé par l’assurance avec laquelle il rejetait toutes une série d’idées qu’il rattachait hâtivement à ce que certains appellent la pensée unique : le relèvement de l’âge du départ à la retraite, l’idée sous-jacente à la commission présidée par Attali, qui proposait de faire une lutte impitoyable aux gaspis, d’accorder de l’importance à une certaine rigueur budgétaire, etc. Ce n’est pas parce que ces idées sont défendues par des Minc ou des Attali qu’elles sont mauvaises. Elles relèvent du principe élémentaire que pour réaliser des objectifs précis tels qu’une réduction de la pauvreté ou une démocratisation de l’enseignement, il faut utiliser le plus efficacement possible des ressources qui sont malheureusement limitées. Le rejet de ce principe est à la base d’une autre pensée unique, celle dont Laurent Mauduit est imprégné, et que l’on retrouve dans le Monde Diplomatique : la foi qui déplace les contraintes budgétaires. Il y a donc une pensée unique qui, en mettant l’accent sur l’efficience économique, oublie que l’essentiel est de rendre le monde meilleur et une pensée unique qui, en mettant l’accent sur la justice, oublie que les moyens sont limités.

Ces deux pensées uniques qui se disputent l’hégémonie dans le débat d’idées en France et en Belgique peuvent à terme l’une et l’autre conduire à la fin de l’Etat providence. La pensée unique de droite, pour faire court, parce que la recherche de l’efficacité économique lui fait négliger les objectifs fondamentaux d’un Etat providence que sont la réduction des inégalités, la protection sociale, l’égalité des opportunités. La pensée économique de gauche, elle, parce qu’elle semble souvent donner la priorité aux institutions et aux politiques qui un jour furent légitimes mais ont peut-être aujourd’hui perdu toute pertinence au regard de ses objectifs. Pour prendre un exemple, cette pensée unique préfèrera se battre jusqu’au bout pour la gratuité de l’enseignement universitaire même si ce faisant, le système devient de moins en moins démocratique et de plus en plus élitiste.

Selon moi, le maintien de politiques telles que la retraite à 60 ans pour tous, la gratuité de l’enseignement universitaire ou l’indexation universelle des salaires et des prestations sociales ne doivent pas d’être des fins en soi. Si elles peuvent subsister, tant mieux. Mais ce qu’il faut garder à l’esprit c’est le cap, l’objectif : un bien être plus élevé des personnes âgées, une mobilité sociale accrue et le plein emploi, bref un Etat providence rayonnant qui donne la priorité à ses missions fondatrices et remet sans cesse en cause les moyens de les réaliser.

(1) Laurent Mauduit, Les imposteurs de l'économie, Enquête sur ces experts médiatiques, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2012

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