jeudi 31 mai 2012

Il y a filières et filières

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Pierre Pestieau

Récemment, la Wallonie a subi plusieurs fermetures d’usine et de ce fait d’importantes pertes d’emploi. Cela a amené plusieurs journalistes à rechercher l’oiseau rare, à savoir l’économiste qui va leur expliquer ce que les gouvernements (nous avons la chance d’en avoir plusieurs) devraient faire. Doivent-ils continuer à soutenir la sidérurgie ou s’orienter vers d’autres filières plus « prometteuses », plus « porteuses », pour utiliser les deux adjectifs de circonstance ? C’est dans ce contexte que j’ai été interrogé à plusieurs reprises et conduit à décevoir mes interlocuteurs. Je ne peux les aider. Il n’existe, en la matière, pas de recette magique qui permettrait d’anticiper les demandes futures, d’autant plus que dès que l’on croit avoir trouvé la perle rare, on réalise qu’on n’est pas les seuls. On se souvient de ce film culte The Graduate où un jeune diplômé, Dustin Hoffman, reçoit d’un ami de famille le « précieux » conseil : Go into plastics. On aimerait pouvoir offrir ce type de conseil à nos ministres Go into biotechnology, Andy, or Rush into renewable energy, John (1). En revanche, on peut leur donner le conseil de bon sens de créer un climat favorable à l’activité économique : faciliter les démarches administratives, simplifier la fiscalité, garantir la stabilité institutionnelle, réduire la défiance qui règne entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics. Dans un ouvrage récent, trois économistes français (2) insistent sur le rôle de la confiance qui doit exister dans une société qui veut se développer. Ils voient dans l’absence de confiance généralisée au sein de la société française, l’explication majeure du mal français. A beaucoup d’égards, leur analyse s’applique à la société belge et à la Wallonie en particulier.

S’il me paraît difficile d’anticiper les filières dans lesquelles on devrait investir et croire en l’efficacité de resucées du Plan Marshall, il est possible de conseiller à nos jeunes dans quelles filières se spécialiser. Il existe aujourd’hui des disciplines pour lesquelles nous manquons cruellement de candidats alors que d’autres ont une popularité coûteuse qui débouche presque toujours sur le chômage ou sur un changement de cap douloureux. Ne faudrait-il pas dans un pays où l’enseignement supérieur est encore relativement abordable introduire des incitations financières ou autres pour encourager les jeunes à s’orienter dans des disciplines comme les sciences, les langues, le génie civil où la demande est élevée? Cette suggestion se heurtera sûrement au droit de choisir les études que l’on préfère. Cela me semble un droit parfaitement respectable et défendable en période de vaches grasses. Nous n’y sommes malheureusement plus.

(1) Ne voyez naturellement aucune ressemblance avec des ministres en fonction.

(2) Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, La fabrique de la défiance - ... et comment s'en sortir, Paris : Albin Michel, 2012

Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants

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Victor Ginsburgh

Je me mets aussi au social, après la lecture d’un article sur le sentiment que les parents éprouvent l’un envers l’autre une fois qu’ils ont des enfants. Comme dirait mon ami Pierre Pestieau, il y a la version conte de fée, « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », mais il y a aussi une autre version.

Une étude de Shoshana Grossbard et Sankar Mukhopadyay (1) montrent en effet que tout n’est pas conte de fées. Les auteurs utilisent les résultats d’enquêtes américaines dans lesquelles les mêmes individus sont interrogés pendant plusieurs années et répondent notamment, année après année, à la question « Evaluez la façon dont vous pensez que votre conjoint ou partenaire tient à vous ? (2) ». La réponse à cette question est notée sur une échelle allant de 0 à 10, et est analysée en fonction de l’âge des répondants des deux sexes et du nombre d’enfants qu’ils ont. Les résultats montrent que la présence d’enfants réduit la perception que les pères aussi bien que les mères ont de l’ « amour » que l’autre personne du couple leur porte, une fois que le premier ou le deuxième enfant atteint l’âge d’un an. Ce serait donc uniquement durant la première année qui suit la naissance d’un enfant que la perception du sentiment de l’amour de l’autre se maintient, pour diminuer par la suite.

La plupart des « théories » économiques relatives aux motivations que les parents ont de « planifier » la venue d’un enfant sont basées sur l’idée qu’il font une analyse des coûts et des bénéfices que cet enfant engendrera par la suite et la naissance du premier enfant est souvent considérée comme un signe du « succès » de l’union, en tout cas par ceux qui écrivent les romans dits « à l’eau de rose », et ils sont, hélas, très nombreux et pire, très lus.

En réalité, la naissance d’un enfant réduit le temps que les partenaires peuvent se consacrer l’un l’autre, ce qui peut entraîner le sentiment d’être moins « aimé ». Cette perte varie avec le nombre d’enfants et, de manière générale, le premier né entraîne une perte plus importante que les suivants.

Les mères ressentent plus intensément que les pères la réduction supposée de l’amour de l’autre, ce qui est sans doute lié au fait qu’elles s’occupent davantage des enfants que les pères.

Peut-on s’assurer que cette réduction de l’amour supposé de l’autre est liée aux enfants, et pas tout simplement au passage ravageur du temps ? Oui, parce qu’il est possible de comparer les sentiments de ceux qui ont des enfants et de ceux qui n’en ont pas.

Mais, vous noterez que même les contes de fées sont prudents. Ils ne disent pas ce qui se passe après que les heureux parents aient eu beaucoup d’enfants. Ils sont heureux avant. Après c’est une autre histoire.

(1) Shoshana Grossbard et Sankar Mukhopadyay, Do children lead to less spouse’s love ? http://eventful.com/brussels/events/do-children-lead-less-spousal-love-/E0-001-046829436-9

(2) How much do you feel that [your current spouse/partner] cares about you ?

vendredi 25 mai 2012

Gendarmes et voleurs

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Victor Ginsburgh

« …une société hypocrite qui arrête les pickpockets

mais récompense les barons du crime,

pend les assassins, mais décore les tortionnaires. »

Alberto Manguel, Nouvel éloge de la folie

« Comme dirait don Quichotte, la plupart des injustices sont commises parce que leurs responsables savent qu’on ne leur en fera pas assumer les conséquences. Dans de telles circonstances, tout citoyen a le devoir d’essayer en conscience d’empêcher ‘que soient commis dans l’Etat auquel il appartient un grand nombre de méfaits et d’illégalités’ » (1).

Monsieur Karel De Boeck, ex-CEO de Fortis Banque, et patron du département risques de ladite banque, arrivé au moment de son ascension et « parti » la queue entre les jambes lors de sa chute, sera le prochain CEO de Dexia d’ici la fin juin. C’est en tout cas ce qu’a décidé le Conseil des ministres restreint il y a quelques semaines. Salaire annuel : 700.000 euros, une aumône pour un homme si brillant (il n’en a pas l’air, mais l’air ne fait pas la chanson). Peut-on vraiment croire que quelqu’un qui a participé à la chute d’une banque va pouvoir redresser la suivante ? N’y a-t-il vraiment aucun choix parmi les patrons belges ? Et pourquoi un Belge après tout ? On a vu ce que l’autre Belge a pu faire à Dexia. Faut dire que le Français n’a pas fait mieux et partira sans doute avec son parachute contractuel de 1,3 millions.

Quelle est la raison profonde qui pousse le gouvernement belge à proposer que M. De Boeck devienne grand patron chez Dexia ? Qui diable a intérêt à ce que celui qui a raté à Fortis se pointe chez Dexia ? Pourquoi est-ce ainsi ? Craignons-nous vraiment cette bande de la finance, et freinons-nous les « gendarmes » qui devraient les poursuivre et ne font rien au mépris total de ce que peut en penser la population ?

A la question « pourquoi est-ce ainsi », Phil Angelides, démocrate qui a présidé la Financial Crisis Inquiry Commission, répond « Au mieux, c’est déconcertant, mais au pire c’est profondément troublant » (2).

Alors que le nombre de poursuites par le gouvernement fédéral (américain) a crû de façon exemplaire dans des domaines comme les droits civiques ou les fraudes relatives à des problèmes de santé, elles ont, depuis 2003, diminué de près de 40% dans le domaine des fraudes financières et sont trois fois moins importantes que durant l’administration Clinton. Malgré les promesses de l’administration Obama et les espoirs suscités par le ministre de la Justice Eric Holder.

Mais, il faut savoir qu’Eric Holder est un transfuge d’une firme d’avocats dont l’activité essentielle consiste à défendre les grandes banques (Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Citigroup, Bank of America, Wells Fargo, Deutsche Bank et bien d’autres), et Holder lui-même s’est entouré dans son ministère de deux autres transfuges de la même firme. Bien sûr, on peut justifier cela par le fait qu’il faut être dans le secret de ce que font les banques pour les confondre, mais il faut aussi prévoir où on se recasera quand on sera retourné à la vie civile ; il ne faudrait quand même pas couper certains ponts précieux (3). Et puis il faut aussi collecter des fonds pour la prochaine campagne électorale et les banquiers sont de généreux donateurs.

Dans nos jeux d’enfants, les gendarmes gagnaient et les voleurs perdaient. Les temps ont bien changé.

(1) A. Manguel, Nouvel éloge de la folie, Actes Sud, 2011, p. 142. La partie du texte ‘que soient commis dans l’Etat auquel il appartient un grand nombre de méfaits ou d’illégalités' est de Socrate et doit sans doute figurer quelque part dans l’œuvre de Platon.

(2) Angelides n’a pas sa langue en poche. En 2005, alors qu’il était ministre des finances en Californie, a dit dans une interview qu’il pensait « que le Président Bush créé des déficits du budget américain de façon délibérée. Son projet est d’accumuler la dette de façon à augmenter la pression sur les dépenses publiques qui comptent vraiment, comme l’éducation des enfants et les retraites. »

(3) P. Boyer and P. Schweizer, Why can’t Obama bring Wall Street to Justice ?, Newsweek, May 14, 2012.

Liaisons dangereuses

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Pierre Pestieau

Les économistes sont-ils malhonnêtes, sous influence de la finance, coupables de conflits d'intérêts... voire corrompus ? La question a d'abord été posée aux Etats-Unis avec le remarquable documentaire Inside Job de Charles Ferguson, dont il a déjà été question dans un blog précédent. Ce film a notamment dévoilé les rôles de Lawrence Summers, ex-conseiller de Barack Obama, qui s'est farouchement opposé, sous Bill Clinton, à la régulation des dérivés financiers, alors qu'il a touché lui-même beaucoup d'argent provenant de fonds spéculatifs.

En France, le débat s'est développé, dans la mouvance idéologique d'Attac, du Monde diplomatique et des altermondialistes. Tous mettent en cause l'indépendance des médias et des experts économiques. Récemment, le journaliste de Mediapart, Laurent Mauduit, a lancé un nouveau pavé dans la mare, avec Les Imposteurs de l'économie (1). Il y pose de bonnes questions. Sa thèse est qu’on ne peut plus, en ces temps de crise, éluder les sujets de transparence et d'éventuels conflits d'intérêts des économistes. Je ne suis pas sûr qu’il apporte les bonnes réponses en s'attaquant à des cibles très hétérogènes, avec des griefs parfois contradictoires, et sur un ton polémique amplifié par le sous-titre de son livre : Comment ils s'enrichissent et nous trompent !

D’abord, il est dangereux de citer des noms. L’auteur donne parfois l’impression de régler des comptes ; c’est le reproche que l’on pouvait faire à Pascal Boniface dans son ouvrage sur les faussaires de la pensée. Dans les deux cas on peut adhérer au point de vue adopté mais on est pris de malaise devant la liste des cibles. Pourquoi celles-là et pas d’autres ? Cela évoque les listes établies à des fins d’épuration ou les charrettes de la révolution.

Ensuite, je suis presque sûr que ni l’auteur ni les cibles de son pamphlet, ne comprennent les causes des crises récentes et actuelles et connaissent les remèdes (3).

Ce qu’il faut retenir est que la plupart des personnes citées par Mauduit ne sont pas considérées dans la profession comme étant des scientifiques actifs. Certaines ne l’ont jamais été. Elles n’apparaissent pas dans les classements fondés sur la qualité de la recherche. Est-ce à dire que les économistes « purs », qui n’ont pas de « fil à la patte », sont plus crédibles ? Peut-être. Ils sont plus indépendants mais connaissent moins le terrain. En définitive la question est de fixer une limite déontologique pour prévenir ce que l'économiste américain Paul Krugman a appelé la « corruption douce » ?

La question des conflits d’intérêts que peuvent connaître les économistes qui courent les plateaux de télévision et hantent les diverses radios ne se limite pas aux Etats-Unis et à la France. Il y en a aussi en Belgique, moins nombreux certes, étant donne la taille du pays et surtout celle de la communauté française. Les mêmes questions se posent et les mêmes réponses peuvent être apportées. Il faut donner au public toute l’information nécessaire pour qu’il puisse se faire une idée de l’objectivité de ces conseilleurs qui sont rarement les payeurs.

(1) Laurent Mauduit, Les imposteurs de l'économie, Enquête sur ces experts médiatiques, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2012

(2) Pascal Boniface, Les Intellectuels faussaires : le triomphe médiatique des experts en mensonges, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2011.

(3) On pourrait faire d’autres reproches à Mauduit. D’abord d’avoir consacré deux chapitres critiques il est vrai à Alain Minc et à Jacques Attali. C’est leur faire trop d’honneur. Ensuite dans sa critique de la PSE (Paris School of Economics) et de la TSE (Toulouse School of Economics), il n’a pas suffisamment souligné la qualité de ces deux centres de recherche et n’a pas évoqué l’insuffisance relative des salaires des chercheurs et enseignants au regard de ce qui se fait ailleurs.

jeudi 17 mai 2012

Déjeuner sur l’herbe ou en fumer

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Pierre Pestieau

The Economist est un hebdomadaire hautement respecté parmi mes collègues économistes, même parmi ceux qui ne sont pas des parangons de l'économie de marché. Je ne le lis pas souvent et uniquement pour ses excellents résumés d'articles scientifiques, résumés qui ont la qualité rare d'être rigoureux et pédagogiques.

Il y a quelques semaines (30 mars 2012), l’hebdomadaire a consacré à l’élection présidentielle française un article et une couverture originale. Pastichant Le Déjeuner sur l’herbe d’Edouard Manet où les deux personnages masculins étaient remplacés par les deux principaux candidats à la présidence, il titrait: « La France dans le déni » et commentait une campagne dont le ton « frivole », qui rappelait selon lui la toile de Manet, était en total décalage avec la situation économique particulièrement sombre du pays. Je ne pouvais qu’approuver cette critique équilibrée de la campagne des deux principaux protagonistes qui allaient aussi devenir les finalistes de cette élection

Plusieurs semaines après, à la veille du second tour, nouvelle couverture consacrée à la France (26 avril 2012). La une de The Economist s’intitule cette fois « The rather dangerous Monsieur Hollande », le plutôt dangereux Monsieur Hollande. L’hebdomadaire britannique annonce qu’il « vote » Nicolas Sarkozy, non pas pour ses mérites personnels mais pour barrer la route à François Hollande. Cette prise de position est bizarre. D’abord elle rompt avec l’équilibre du numéro consacré quatre semaines plus tôt au déni mais, en outre elle contredit l’observation de l’hebdomadaire que François Hollande a raison de s’opposer à la politique de discipline budgétaire trop rigide voulue par l’Allemagne qui empêche toute possibilité de croissance de la zone euro. Les raisons avancées par The Economist sont en définitive beaucoup plus idéologiques qu’économiques, ce qui n’est guère surprenant. Ses éditorialistes ont raison de se méfier des déjeuners sur l’herbe ; ils devraient plutôt en fumer.

Le verdict du 6 mai semble indiquer que l’hebdomadaire libéral n’a pas évidemment eu d’impact sur l’électorat français. On souhaiterait cependant que son numéro consacré au déni des réalités économiques qui caractérisait la campagne soit pris au sérieux.

Chômage et chômage

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Victor Ginsburgh

Les deux histoires qui suivent sont dédiées à un métallo qu’une amie a rencontré au marché. Il s’est reconverti avec beaucoup de courage et y vend des légumes biologiques. Viré sans parachute de son usine pour permettre de payer le parachute doré de ceux qui l’ont viré.

La première histoire est vraie. Elle rapporte de façon fidèle un échange de courriers électroniques que m’envoie un ami suite à son essai de recruter à plein temps un développeur de sites web. En voilà un qui fait semblant de chercher du travail et qui compte sur ceux qui travaillent, y compris sur le métallo qui vend des légumes, pour que lui soit servie son allocation de chômage.

La deuxième est une histoire inventée qui, je l’espère, pourra quand même faire sourire les uns comme les autres. En dépit du fait qu’il y a aujourd’hui dans le monde quelque 200 millions de gens sans emploi dont beaucoup, beaucoup cherchent sans trouver.

Première Histoire

Le candidat (14 mars 2012)

Monsieur,

Suite à la consultation de votre offre d'emploi sur le site StepStone.be, veuillez trouver en pièces jointes, mon curriculum vitae et ma lettre de motivation pour le poste de web développeur PHP/MySql.

OJ

L’annonceur (28 mars 2012)

Bonjour,

Je propose de fixer le rendez-vous directement sur le lieu de travail éventuel, au Studio **, Rue ***, 28, 1070 Bruxelles, le lundi 2 avril à 11h30. Bien à vous,

BG.

Le candidat (29 mars 2012)

Monsieur,

Je vous remercie pour l'intérêt accordé à ma candidature qui a retenu toute votre attention. Malheureusement, je me vois dans l'obligation d'annuler notre rendez-vous de ce lundi. Je me rends compte, suite à votre email que l'adresse éventuelle du lieu de travail, n'est pas facilement accessible via le transport en commun que je privilégie, tram et métro. Je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

OJ.

L’annonceur (29 mars 2012)

Pas de souci. Je me permets quand même de vous signaler :

- que la station de Métro St Guidon est à moins de 200m de nos bureaux, soit 12 min et 9 arrêts depuis la gare centrale

- que nos bureaux sont à 20 minutes et 2,1 km à pied de la gare du Midi

- que nos bureaux sont à 10 minutes et 5 arrêts de tram de la gare du Midi

Bonne chance,

BG.

L’échange de messages s’est arrêté là.

Deuxième histoire

Agence Nationale pour l’Emploi

33640 Castres

France

Objet : ANPE—Avis de radiation de la liste des demandeurs d’emploi

P.J. : Votre courrier en date du ***

Lettre recommandée avec accusé de réception

Monsieur le Directeur,

Je me permets de contester modestement ma radiation de la liste des demandeurs d’emploi, j’ai refusé plusieurs emplois, je le concède, mais j’ai des excuses qui me semblent acceptables.

La première offre ne correspondait pas à mon profil. La seconde était rémunérée très en deçà de ce que je suis en droit d’attendre, toujours en fonction de mon profil. Venons-en à cette troisième proposition : certes le salaire est conforme à mon attente, oui le poste correspond à mon profil, mais je l’ai refusée, et voici ce qui a motivé ce refus.

J’ai longtemps travaillé à Limoges…

Puis j’ai été limogé.

On m’a vanté la mobilité. Etant de bonne volonté, j’ai donc retrouvé un emploi à Vire…

Mais j’ai été viré.

Un miracle s’est produit, j’ai travaillé à Lourdes…

Malheureusement j’ai été lourdé.

Vous comprendrez aisément pourquoi je refuse cette place que vous me proposez à Castres.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de ma considération distinguée.

vendredi 11 mai 2012

Notes de lecture. Du malheur d’être Grec

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Victor Ginsburgh

Un ami de toujours, grec né en Afrique il y a quelque 70 ans, vit en Belgique depuis une trentaine d’années. Il a toujours refusé d’abandonner sa nationalité grecque. Il m’a offert Du malheur d’être Grec (1), un opuscule, paru en 1975, au temps des colonels qui avaient pris le pouvoir en avril 1967. Ce livre reparaît en 2012 au moment où l’Europe s’acharne sur la Grèce et en fait un pays dont les citoyens désespérés on voté le 6 avril (presque jour pour jour, 38 ans après les colonels) les uns pour le marteau et la faucille, les autres pour la croix gammée.

Voici quelques aphorismes extraits de ce très précieux petit livre. Ils expliquent pourquoi « on » en est là. Dans ce « on » il y a « eux » bien sûr, mais il y a aussi « nous ». Avons-nous, comme l’avait fait Zeus (2) il y a bien longtemps, commencé par ôter la raison à ceux que nous avons voulu perdre ?

« [J]usqu’à quel point sommes-nous des Européens ? Maintes choses nous séparent de l’Europe, peut-être plus nombreuses que celles qui nous y unissent. Infimes sont les grands mouvements culturels qui ont créé la civilisation européenne contemporaine et qui sont arrivés à nous. Pas de Moyen-Age érudit, pas de Renaissance, pas de Réforme, pas de Lumières, pas non plus de révolution industrielle (p. 37).

« Jamais nous n’avons voulu éclaircir notre spécificité et en prendre conscience. Nous avons essayé de redevenir Anciens. Nous avons haï et détruit notre langue (et sans langue, comment peut-on avoir une pensée ?), car elle n’était pas tout à fait la même que celle de nos antiques ancêtres. Nous nous sommes haïs nous-mêmes parce que nous ne sommes pas grands, blonds avec le « nez grec » comme celui d’Hermès et de Praxitèle. Nous avons haï nos voisins… car nous leur ressemblions (p. 42).

« Finalement qui sommes-nous ? Les Européens de l’Orient ou les Orientaux de l’Europe ? Les hommes développés du Sud ou les sous-développés du Nord ? (p. 43)

« Les autres peuples ont des institutions. Nous, nous avons nos mirages (p. 59).

« Tous les peuples ont une religion. Nous, nous avons des popes (p. 73).


« Tandis que la moitié des Grecs essaie de transformer la Grèce en pays étranger, l’autre moitié s’exile (p.83).

« Quelque part en notre for intérieur, nous croyons que nous ne sommes pas dignes de vivre dans un pays aussi beau. Et nous essayons de le porter à notre mesure. A notre niveau. C’est ainsi que nous le recouvrons de béton et d’ordures (p.95).

« L’intellectuel est l’homme qui essaie (d’habitude en vain) de transformer ses idées en actes. L’intellectuel grec est celui qui cherche à trouver des idées pour justifier ses actes (p. 101).

« Nous devons être fous, nous les Grecs. Exactement comme, aux yeux des bourgeois, le héros tragique est fou. C’est pourquoi nombreux sont ceux qui ont plus aimé la lutte que le but de la lutte (p. 109). »

Et le livre conclut par ce dernier aphorisme :

« Certes, on pourrait aussi écrire un livre intitulé Du bonheur d’être Grec. Car ce bonheur–là existe (qui oserait le nier ?). En écrivant sur le malheur, j’ai donc écrit aussi sur le bonheur. Sur le bonheur du malheur d’être Grec (p.117). »

Voilà pourquoi mon vieil ami est resté Grec.


(1) Nikos Dimou, Du malheur d’être Grec, Paris : Payot, 2012.

(2) Ou Jupiter, mais je préfère Zeus !

Pauvre France (1)

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Pierre Pestieau

Il est assez paradoxal de lire dans les journaux que de nombreux Français sont attirés par notre fiscalité. Il semblerait qu’un quartier d’Uccle soit surnommé le XXIème arrondissement et une rue d’Ixelles le Petit Paris à cause du nombre d’exilés fiscaux qu’ils comptent. Après Baudelaire et Hugo, pourquoi pas ? La Belgique paradis fiscal, c’est aussi surprenant que si on nous parlait des Pays-Bas comme d’un éden gastronomique ou de l’Arabie saoudite comme de la patrie de l’égalité des sexes. Car en fait dans tous les classements de pays par importance des prélèvements obligatoires, nous dominons la France, d’une courte tête seulement, il est vrai. Comment expliquer alors tout ce bruit à propos des exilés fiscaux, dont une partie d’ailleurs sont de faux exilés puisqu’ils continuent de vivre en France ?

Une des raisons est l’élection présidentielle (2). La droite a tout intérêt à agiter le risque de l’exode fiscal en cas de victoire d’une gauche ontologiquement confiscatoire. Une autre raison est sans doute l’existence du Thalys qui permet de vivre à Bruxelles et de travailler à Paris. Rien de comparable entre le trajet Bruxelles Paris et celui du fameux dentiste belge qui doit voyager entre Bruxelles et Luxembourg.

La raison plus fondamentale est ailleurs ; elle réside dans la nature de ces exilés. Ce ne sont pas des contribuables moyens mais des gens fortunés qui veulent essentiellement minimiser l’imposition de leur patrimoine. A la différence de la France et comme la plupart des pays, la Belgique n’a pas d’impôt annuel sur la fortune. En outre, l’imposition des revenus du capital et celle des plus-values sont plus légères en Belgique qu’en France. En Belgique, les plus values réalisées lors de l'exercice des stock options ne sont pas taxées. On pourrait ajouter à cela le fait que l’administration fiscale française semble plus efficace que la nôtre.

Si on exclut ces contribuables qui sont minoritaires, le système fiscal français est sans nul doute plus accueillant que le notre, particulièrement pour les familles. Ce qu’illustre cette situation, c’est que la plupart des pays représentent un paradis fiscal pour une certaine catégorie de contribuables. Ici comme ailleurs, il y a une prime à la mobilité.

(1) Allusion au pamphlet de Baudelaire sur la Pauvre Belgique.

(2) Notons que cela explique pourquoi les Français de Belgique sont très nombreux à voter pour Sarkozy.

jeudi 3 mai 2012

Rouge Amérique

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Pierre Pestieau

Depuis quelques années, le concept de dépenses sociales est remis en question ou plutôt recadré. Prenez deux pays : dans l’un, il y a de nombreuses dépenses sociales mais tous les revenus de remplacement auxquels elles donnent lieu sont lourdement taxés ; dans l’autre il y a peu de dépenses sociales ; les retraites, l’assurance santé et les prestations familiales y sont négligeables mais l’Etat oblige ou en tout cas incite les individus à s’assurer privativement contre ces risques en offrant d’importantes exonérations fiscales. On peut défendre l’idée que si l’on s’intéresse à ce que les ménages ont finalement en poche, il faille déduire les taxes prélevées sur les prestations sociales dans le premier pays et ajouter aux faibles prestations sociales du second pays tous les revenus de remplacement qui y sont versés par les assurances privées. Du coup, on peut très bien arriver à un part des dépenses sociales nettes dans le PIB qui soit plus importante dans le second que dans le premier pays.

Cette relecture des statistiques a pour implication que les Etats-Unis paraissent avoir un Etat providence aussi généreux que de nombreux pays de la vieille Europe. Selon une récente étude de l’OCDE (1), l’importance relative des dépenses sociales dans le PIB serait de 31% avant correction (32,3% après correction) pour la Belgique, 32,3 (31,9) pour la France, 18,2 (28,8) pour les USA et 28,9 (28,3) pour l’Allemagne. En d’autres termes après correction, les Etats-Unis et l’Allemagne sont à égalité et, de façon plus générale les Etats-Unis sont proches de l’Europe.

Dans un article récent, il est vrai plus pamphlétaire que scientifique, l’auteur (2) qualifie le système de santé américain de socialiste, plus socialiste que ceux qui prévalent en Europe. Il considère comme programmes publics, Medicare (assurance santé pour les plus de 65 ans) et Medicaid (assistance santé pour les pauvres), qui sont vraiment publics et représentent une bonne moitié des dépenses totales de santé américaines, mais aussi l’ensemble des assurances privées collectives qui sont attachées au contrat de travail de ceux qui en bénéficient. Si l’on considère la part des dépense de santé que les Américains contrôlent vraiment (on parle dans ce cas de dépenses qui viennent de la poche du patient—out of pocket expenses), on a un montant faible, qui est plus faible que dans de nombreux pays européens et qui décroit. Cette part était égale à 46,6% en 1960 pour tomber à 12,8% en 2006. Les Etats-Unis se situent ainsi en queue de peloton entre la France (6,7) et l’Allemagne (12,8) et très en dessous de la Belgique avec ses 20% (3).

Comment faut-il interpréter ce nouvel éclairage du fonctionnement de l’Etat providence que l’on voudrait donner ? Est-il vrai qu’en définitive la plupart des pays industrialisés offriraient à leurs citoyens la même protection sociale ? Ce qui changerait est la manière ; des pays comme les Etats-Unis s’appuieraient davantage sur le marché et moins sur les prélèvements obligatoires.

C’est là un raisonnement rapide et pour le moins surprenant. Quand on évalue la protection qu’offre un Etat providence, on s’intéresse à sa générosité, à savoir le montant de ressources qui lui est consacré, mais aussi à la redistribution qu’il opère. Or on n’attend pas du marché qu’il fasse de la redistribution. Il opère selon la règle du donnant donnant et pas selon le principe de la solidarité qui régit la protection sociale. Ainsi pour prendre l’exemple de la santé, ce sont surtout les classes aisées qui aux Etats-Unis bénéficient des assurances privées collectives et d’une grosse partie de l’assurance maladie pour les plus de 65 ans, Medicare (les pauvres n’ayant pas l’occasion d’en profiter du fait de leur faible longévité). Du coup, les pauvres sont ceux qui doivent payer de leur propre poche ou qui plus souvent ne se soignent pas. Et même si en Belgique la couverture de l’assurance maladie se réduit et les patients doivent financer une part croissante de leurs soins de santé, on y trouve davantage de justice redistributive qu’outre-Atlantique (4).

Vouloir réinterpréter la réalité de cette manière n’est pas innocent. Laisser penser que le marché peut faire aussi bien que l’Etat dans un domaine aussi crucial que la protection sociale peut, à terme, justifier les manœuvres latentes de privatisation des systèmes de retraite et de santé.

(1) Adema, W., P. Fron and M. Ladaique (2011), « Is the European Welfare State Really More Expensive?: Indicators on Social Spending, 1980-2012 », OECD, Paris

(2) Jacob Funk Kirkegaard, Europe and the US: « Whose Health Care is More Socialist? »

< http://www.piie.com/blogs/?p=595>

(3) Out-of-pocket expenditure as a percentage of GDP, WHO, 2009.

(4) Les Etats-Unis consacrent 16% de leur PIB à la santé ; c’est là une fraction très élevée par rapport aux pratiques européennes qui tournent autour de 11%. C’est d’autant plus impressionnant que le PIB américain est très élevé.

Le mouvement « Universités en débats », ou la désexcellence

2 commentaires:

Victor Ginsburgh

Un mouvement soutenu par des académiques provenant de toutes les universités francophones du pays, auquel se sont, sans surprise, associés des universitaires français, vient de naître.

Il était basé sur la constatation intéressante et tout à fait correcte, que les universités commencent à sérieusement ressembler aux entreprises commerciales. Il faut, disent-elles, soutenir ce qui intéresse le marché, ce qui formera les étudiants à s’y intégrer plus facilement, et ignorer, ou mieux, supprimer le reste. Formons des ingénieurs civils (et encore), mais surtout formons des gestionnaires dans nos Bizness Schools et arrêtons d’enseigner l’araméen ou le quechua ; l’archéologie ne sert à rien, l’histoire de l’art encore moins, pas plus que le latin et le grec puisqu’ils n’existent quand même presque plus dans l’enseignement moyen, faisons des cours d’anglais, et arrangeons-nous pour que les étudiants soient amenés à payer pour y participer ; formons des « spécialistes » en finance, en marketing (avec un zeste de psychologie), en comptabilité, en informatique. Développons les enseignements de troisième cycle destinés aux cadres des entreprises et faisons les payer très cher.

J’exagère sans doute un peu, mais c’est aussi pour vous montrer que je suis entièrement d’accord avec la position du mouvement qui constate que l’université se décharge de ses fonctions premières pour devenir une boutique commerciale.

Mais à mon grand regret, ce mouvement est en train de se transformer en un mouvement pour la « désexcellence » (1) et pour la « science lente », ou, en terminologie anglaise « slow science », qui risque de se métamorphoser très vite, en « no science », surtout dans les sciences dites humaines.

En cause, la nomination et la promotion des scientifiques sur base de leurs publications, l’attribution de crédits à ceux qui font de la recherche « excellente », et qui sont évalués par des institutions qui ont le mérite d’exister et n’ont aucun intérêt à déformer la réalité des choses. Ces institutions comptent non seulement le nombre d’articles publiés, mais surtout le nombre de fois que ces articles (et leurs auteurs) sont cités dans d’autres revues scientifiques, selon le type de revue dans laquelle les articles sont publiés, puisque les revues elles-mêmes sont classées d’après leur niveau d’excellence (2). Bien sûr, même si le décompte est correct et indiscutable, il peut y avoir certaines manipulations en amont. Les Américains, dont les revues sont souvent les plus prestigieuses, ont aussi bien plus de facilités d’y publier que les Européens (surtout s’ils n’écrivent pas en anglais) ; ils ont aussi leurs copains qui sont éditeurs de ces revues, nous pas. Mais nous arrivons quand même à y entrer, et nous développons nos propres revues européennes qui ne deviendront certes pas meilleures si nous devenons « lents ».

C’est aussi sur cette base que sont classées les universités ; ces classements ont souvent été critiqués par nos recteurs pour des raisons bonnes ou moins bonnes. Ils sont bien sûr arbitraires dans le choix entre la 133e et la 134e université et il est facile d’inverser ce dernier classement en adoptant des critères un peu différents ou en les pondérant autrement. Mais il y a peu de doute que l’université classée première soit meilleure que celle qui est classée cinquantième. Et c’est la première qui attirera les étudiants, pas la cinquantième. Heureusement pour cette dernière, tous les étudiants ne sont pas admis dans la première et elle aura quelques miettes.

Quelle est l’alternative ? Revenir à l’époque où j’étais jeune et où j’ai vécu la nomination de chercheurs et de professeurs sur base d’une appartenance clanique, et du rabattage de collègues qui souvent ne connaissaient rien à la spécialité dans laquelle il fallait nommer le nouveau venu, mais qui étaient prêts à apporter leurs voix à tel ou tel membre du clan ou copain qu’il s’agissait d’élire. Avec pour résultat un enseignement désastreux (je parle de mon domaine, à la fin des années 1950), ennuyeux parce que non soutenu par la recherche, inutile parce que basé sur des connaissances vieillies : un ami étudiant en polytechnique me racontait qu’on y enseignait encore la machine à vapeur, alors qu’existaient déjà des centrales nucléaires, et j’ai moi-même subi un cours sur le classement de fiches manuscrites mais de couleurs différentes pour les reconnaître, alors que commençaient à apparaître les ordinateurs (et les trieuses à cartes perforées étaient bien sûr monnaie courante).

C’est cela le résultat de la « no science » ou, ce qui revient presque au même, de la « slow science » et de la « désexcellence ». Et ce ne sont ni les Etats-Unis, ni la Chine, ni la Russie, ni l’Angleterre, ni l’Allemagne qui vont nous suivre.

Voici ce qu’écrivait, il y a près d’un an, Nathalie Heinich (3), la sociologue française bien connue professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales :

« Et en effet, que serait un monde—notamment universitaire—sans évaluation ? Ce serait un monde où règnerait l’arbitraire de la domination par les puissants, les effets de clientélisme ou de réseau, l’inamovibilité des positions acquises, ou encore l’éradication des valeurs de mérite, de compétence ou de travail au profit des propriétés non indexées à l’excellence personnelle, telles que la naissance ou l’appartenance à un collectif—voire l’imposition d’un égalitarisme de principe éliminant toute hiérarchisation par le talent ou par la productivité… Un peu de modération enfin : ces oukases paranoïdes, qui alignent tous les poncifs du radicalisme critique à la mode, laissent penser que leurs auteurs n’ont jamais participé à une commission de recrutement ou d’avancement… [N]ous pourrions utilement prendre exemple sur les pays anglo-saxons, autrement plus sérieux que nous en matière d’évaluation par les pairs et de prise en compte de la seule excellence scientifique… [Je m’oppose à un fonctionnement] où le grenouillage local et l’auto-promotion sont connus de tous mais sanctionnés par personne ».

Avis aux sciences humaines (et aux sciences exactes aussi bien entendu), je n’aurais pas osé leur asséner cela.

J’ai souvent écrit que j’étais en faveur de l’enseignement du grec et du latin dans les écoles, mais je suis aussi pour l’enseignement de la science qui est en train de se faire, notamment par ceux-là mêmes qui l’enseignent. Et la « slowness » (lenteur) de cette science ne nous rendra pas meilleurs.

(1) Voir par exemple http://lapige.be/2012/04/portrait-olivier-gosselain-professeur-a-lulb-et-desexcellent-il-faut-nous-changer-nous-memes/

(2) Ce qui fait dire à certains que la machine tourne en rond. Il y a de cela, mais il y a aussi beaucoup de bon.

(3) Nathalie Heinich, Haro sur l’évaluation, La Quinzaine Littéraire 1040, 16 au 30 juin 2011.

Post scriptum du 6 avril

Plusieurs lecteurs m’ont écrit ou dit qu’ils étaient étonnés que je souscrive à « l’université boutique commerciale ». C’est évidemment loin d’être le cas, mais je reconnais que mon texte pouvait prêter à confusion et j’ai modifié, non pas mon avis, mais l’avis qui était mal exprimé.

Pour être tout à fait clair, je suis contre la dérive actuelle qui supprime ce qui dans le mot « université » ressemble à « universel » et transforme l’université en boutique.

Par contre, je crois que l’université doit rester « excellente », aussi bien dans ce qu’elle enseigne que dans sa recherche et ne puis me rallier à ceux qui suggèrent que nous devons aller dans le sens de la « désexcellence » et de la « science lente ». Parce que ce qui s’y enseigne doit être non seulement universel, mais doit aussi être basé sur la science qui s’y fait. Et si la science qui s’est fait devient « lente », tel sera son enseignement.

Il va sans dire que le décompte des articles et des citations utilisé pour évaluer n’est qu’un pis-aller et n’existe d’ailleurs pas dans toutes les disciplines. Je suis bien évidemment prêt à souscrire à l’idée de la présence d’experts provenant d'autres universités dans les commissions de recrutement et de promotion. L’expérience que j’en ai ne m'a cependant pas toujours convaincu. Leur présence évite le copinage par trop évident, mais les conclusions sont malgré tout souvent « entraînées » par les membres internes, qui invoquent des raisons autres que scientifiques, parfois justifiables, parfois tout à fait ad hoc. Il est vrai que le comptage du nombre d'articles et de citations n'évite pas davantage les arguments ad hoc dans les conclusions des rapports des commissions.