vendredi 27 avril 2012

Tchang à Bruxelles

Pierre Pestieau

Il y a quelques semaines j’ai été invité par le think tank Madariaga, d’une part, et le Ministère des Affaires étrangères, d’autre part, à participer à une table ronde avec des représentants du parti communiste chinois sur deux thèmes voisins: L’Etat providence et la crise de la dette (Madariaga) et L’Etat providence et la croissance (Affaires étrangères). Faute de motivation je n’ai participé à aucune des deux rencontres. Pourquoi ?

Parce que dans des conversations préalables, je me suis rendu compte que le message que les interlocuteurs belges voulaient communiquer à leurs hôtes chinois était très ambigu. En substance, ils disaient tout haut: Un Etat moderne se doit d’avoir une protection sociale digne de ce nom. C’est bon pour le bien être de sa population et pour la durabilité de sa croissance alors qu’ils pensaient tout bas: Adoptez une protection sociale aussi coûteuse que possible. Cela freinera votre croissance en augmentant le coût de votre main d’œuvre.

Les perspectives de croissance de la Chine et des autres membres du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont en effet de quoi effrayer les âmes sensibles. En 2040, soit dans moins de 30 ans, la Chine aura dépassé les Etats Unis en Production Intérieure Brute et le BRIC aura rattrapé le G6 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France et Italie) (1). Ces projections qui sont représentées sur la figure ci-dessus reposent sur l’hypothèse que les dynamiques démographiques et économiques actuelles se maintiendront durant les 4 prochaines décennies. On peut conjecturer que si ces pays émergeants, la Chine en tout premier lieu, étaient amenés à adopter une protection sociale à l’européenne leur croissance s’en trouverait ralentie. Mieux encore si, en outre, ils se souciaient de l’environnement et adoptaient des lois sociales bannissant le travail des enfants et protégeant la santé des travailleurs adultes, tout serait parfait.

Est-ce si évident ? Les relations entre Etat providence et croissance sont complexes. Une majorité d’économistes et une bonne partie de l’opinion sont convaincus que le ralentissement de la croissance que nous connaissons depuis plusieurs années est imputable aux dépenses sociales, ou plutôt aux prélèvements obligatoires que réclament ces dépenses sociales. Au contraire, certains historiens de l’économie voient dans l’Etat providence un des facteurs majeurs d’une croissance soutenue au cours des deux derniers siècles. Si l’Etat providence fournit au citoyen une protection sociale indispensable et que son financement est relativement indolore, on peut comprendre qu’il ait joué un rôle clef. Dans un ouvrage récent (2), l'historien de l'économie Peter Lindert montre comment l'État Providence a pu se développer dans les nations occidentales, en Europe surtout, sans hypothéquer la croissance. Lindert avance trois explications :

- primo, certaines dépenses sociales contribuent à la croissance (par ex., les dépenses pour l'éducation) ;

- secundo, le mode de taxation adopté pour financer la redistribution a été progressivement adapté de façon à minimiser ses effets désincitatifs ;

- tertio, les effets désincitatifs de la redistribution ont un impact limité sur la croissance.

Si Lindert a raison, l’adoption par les pays du BRIC d’une protection sociale et environnementale pourrait ralentir leur croissance mais tout à la fois en garantir la durabilité. Pourquoi pas ?

(1) http://www.goldmansachs.com/our-thinking/brics/brics-dream.html

(2) Peter Lindert, Growing Public: Social Spending and Economic Growth Since the Eighteenth Century, Cambridge University Press, 2004.

1 commentaire:

  1. C'est un sujet intéressant. Pour votre information, http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1467-6419.2011.00697.x/abstract (ou, en document de travail, http://ssrn.com/abstract=1734206 ).

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