vendredi 27 avril 2012

Les plantes « parlent », mais les bilingues sont plus malins

5 commentaires:

Victor Ginsburgh

Selon une étude récente réalisée par des biologistes de l’Université Ben Gourion, Israël (1), même les plantes « parlent » … par les racines, et se transmettent des signaux de détresse ; celles qui les reçoivent « changent leur comportement » en engendrant, par exemple, des substances chimiques qui éloignent ou tuent leurs prédateurs. Donc ne gardez plus vos plantes dans des pots séparés, mettez-les toutes ensemble, elles survivront mieux pour se défendre contre les intrusions diverses, y compris la vôtre.

On ne sait pas encore si les plantes sont bilingues, mais les signaux semblent être génériques, au sens où ils peuvent passer d’une espèce à une autre. Imaginez, les Flamands et les Francophones qui ne doivent plus apprendre la langue de l’autre communauté, et se mettent à communiquer par les pieds (2), dans une langue commune.

Ce serait tellement plus facile. Et puis les Belges pourraient faire la nique aux Italiens qui parlent avec les mains. La Belgique deviendrait ainsi la première nation au monde à parler par ou avec les pieds et les orteils par dessus (ou par dessous) la frontière linguistique (voir photo).

Dommage pourtant, parce qu’une autre étude vient de montrer que les bilingues sont plus malins (3). En dépit du fait—et on sait cela depuis longtemps—que le bilinguisme crée des interférences et des obstructions, il s’avère que ces obstructions ont au contraire des effets bénéfiques, parce qu’elles obligent le cerveau à résoudre des conflits et renforcent du même coup les « muscles cognitifs ».

Ainsi, les bébés soumis au bilinguisme ont des réactions plus rapides ; les bilingues résolvent mieux certains types de puzzles mentaux et plus généralement, améliorent la fonction exécutive du cerveau chargée des tâches qui font appel au mental ; ils parviennent à mieux gérer les changements dans leur environnement ; ils sont moins sujets à la démence sénile et à la maladie d’Alzheimer ou en tout cas, le bilinguisme retarde la maladie. Haut les cœurs, mes amis Wallons.

Mais on évoque aussi le silence qui est de moins en moins présent dans notre vie. Peut-être vaudrait-il mieux que nous nous taisions dans toutes les langues. Cela permettrait un petit coup d’arrêt à toutes ces merveilles qu’engendre la globalisation.

(1) Israeli study shows : Plants « talk » through the roots, Haaretz March 11, 2012

http://www.haaretz.com/print-edition/news/israeli-study-shows-plants-talk-through-the-roots-1.417723

(2) Mais méfiez-vous quand même et rappelez-vous de ce qui est arrivé au ministre français Georges Tron qui communiquait en faisant du pied à ses collaboratrices.

Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Tron

(3) Why bilinguals are smarter, The New York Times, March 17, 2012

http://www.nytimes.com/2012/03/18/opinion/sunday/the-benefits-of-bilingualism.html

Tchang à Bruxelles

1 commentaire:

Pierre Pestieau

Il y a quelques semaines j’ai été invité par le think tank Madariaga, d’une part, et le Ministère des Affaires étrangères, d’autre part, à participer à une table ronde avec des représentants du parti communiste chinois sur deux thèmes voisins: L’Etat providence et la crise de la dette (Madariaga) et L’Etat providence et la croissance (Affaires étrangères). Faute de motivation je n’ai participé à aucune des deux rencontres. Pourquoi ?

Parce que dans des conversations préalables, je me suis rendu compte que le message que les interlocuteurs belges voulaient communiquer à leurs hôtes chinois était très ambigu. En substance, ils disaient tout haut: Un Etat moderne se doit d’avoir une protection sociale digne de ce nom. C’est bon pour le bien être de sa population et pour la durabilité de sa croissance alors qu’ils pensaient tout bas: Adoptez une protection sociale aussi coûteuse que possible. Cela freinera votre croissance en augmentant le coût de votre main d’œuvre.

Les perspectives de croissance de la Chine et des autres membres du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont en effet de quoi effrayer les âmes sensibles. En 2040, soit dans moins de 30 ans, la Chine aura dépassé les Etats Unis en Production Intérieure Brute et le BRIC aura rattrapé le G6 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France et Italie) (1). Ces projections qui sont représentées sur la figure ci-dessus reposent sur l’hypothèse que les dynamiques démographiques et économiques actuelles se maintiendront durant les 4 prochaines décennies. On peut conjecturer que si ces pays émergeants, la Chine en tout premier lieu, étaient amenés à adopter une protection sociale à l’européenne leur croissance s’en trouverait ralentie. Mieux encore si, en outre, ils se souciaient de l’environnement et adoptaient des lois sociales bannissant le travail des enfants et protégeant la santé des travailleurs adultes, tout serait parfait.

Est-ce si évident ? Les relations entre Etat providence et croissance sont complexes. Une majorité d’économistes et une bonne partie de l’opinion sont convaincus que le ralentissement de la croissance que nous connaissons depuis plusieurs années est imputable aux dépenses sociales, ou plutôt aux prélèvements obligatoires que réclament ces dépenses sociales. Au contraire, certains historiens de l’économie voient dans l’Etat providence un des facteurs majeurs d’une croissance soutenue au cours des deux derniers siècles. Si l’Etat providence fournit au citoyen une protection sociale indispensable et que son financement est relativement indolore, on peut comprendre qu’il ait joué un rôle clef. Dans un ouvrage récent (2), l'historien de l'économie Peter Lindert montre comment l'État Providence a pu se développer dans les nations occidentales, en Europe surtout, sans hypothéquer la croissance. Lindert avance trois explications :

- primo, certaines dépenses sociales contribuent à la croissance (par ex., les dépenses pour l'éducation) ;

- secundo, le mode de taxation adopté pour financer la redistribution a été progressivement adapté de façon à minimiser ses effets désincitatifs ;

- tertio, les effets désincitatifs de la redistribution ont un impact limité sur la croissance.

Si Lindert a raison, l’adoption par les pays du BRIC d’une protection sociale et environnementale pourrait ralentir leur croissance mais tout à la fois en garantir la durabilité. Pourquoi pas ?

(1) http://www.goldmansachs.com/our-thinking/brics/brics-dream.html

(2) Peter Lindert, Growing Public: Social Spending and Economic Growth Since the Eighteenth Century, Cambridge University Press, 2004.

jeudi 19 avril 2012

Dépendance et maltraitance

1 commentaire:

Pierre Pestieau

Avec l’allongement de la durée de vie, la dépendance devient de plus en plus répandue. C’est tout à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction parce que généralement elle arrive au bout d’une vie déjà longue et bien remplie. Une malédiction parce qu’elle peut conduire à des maltraitances.

Commençons par un ordre de grandeur. En Belgique, la fraction de ceux et celles qui ont plus de 80 ans devrait passer de 6.5 à 17.5 % entre 2010 et 2060. C’est dans cette population que sont concentrées les personnes dépendantes dont le nombre devrait plus que doubler. La majorité de ces personnes restent chez elles et sont soignées par des proches, généralement les épouses et les (belles) filles, celles qu’on appelle les « aidantes naturelles ». Une minorité, surtout dans les cas de dépendance lourde, se retrouvent dans des maisons de soins.

Il y a plusieurs façons d’appréhender la dépendance quand on ne la vit pas soi-même. On peut le faire à la manière des contes de fée ; tout se fait dans la joie, dans un monde de double dividende. La personne aidante est heureuse de s’occuper d’un parent aimé et la personne aidée est ravie de bénéficier d’une assistance chaleureuse et personnelle. Quand il faut se résigner à institutionnaliser la personne dépendante, cela se fait sans heurt et dans un établissement confortable et accueillant. Force est d’admettre que ce genre de situation est plutôt l’exception que la règle.

Plusieurs études montrent que tant les personnes aidantes que les personnes aidées ne vivent pas ces situations comme des contes de fée et peuvent être malmenées pour ne pas dire maltraitées. Commençons par les aidants. Il est commode de penser que telle femme qui soigne son beau-père ou telle épouse qui s’occupe de son mari le fait avec joie, en chantant, la fleur au torchon. Trop souvent, elle y est contrainte par la « norme familiale » et passera ainsi plusieurs années à vivre une vie qu’elle n’a pas choisie, qui lui est imposée par la famille, par le milieu. Et quand vient le moment inévitable où la personne dépendante décède, elle se trouve désemparée, connaissant un vide existentiel et souffrant de maux psychosomatiques dont elle ne se remettra peut-être jamais. Quant à la personne dépendante, elle se trouve parfois confrontée à un choix difficile si elle a toujours sa lucidité : s’en remettre à sa famille avec le danger d’être vite mise de côté physiquement et psychologiquement ou partir pour une maison de soins où elle court le risque de tomber sur un personnel débordé, négligent, voire abusif. Le risque de tomber sur un « ange de la mort » n’est pas nul. Les cas de maltraitance au sein de la famille ou dans les institutions qui font de temps à autres la une des journaux sont plus fréquents que l’on ne croit (1).

Ce qui m’intéresse ici est d’examiner ce qu’il faut faire individuellement et collectivement. On aimerait pouvoir s’assurer contre les deux formes de maltraitance. On privilégierait le maintien à domicile mais à la moindre alerte, on pourrait recourir à une maison de soins. Dans ce type d’institution aussi, il y aurait une clause permettant de garantir la qualité des soins et une porte de sortie en cas d’abus. On est loin du compte. Le risque de dépendance en soi est déjà difficile à assurer ; a fortiori le risque de maltraitance familiale ou institutionnelle.

Sans recourir au marché, il est important que les familles soient conscientes des risques que fait courir la dépendance. Les situations de dépression et d’épuisement que connaissent les aidants naturels ne sont souvent pas anticipées au moment où il est question de la prise en charge un proche. Derrière les termes un peu ronflants de « virage ambulatoire » et de « maintien à domicile », se cache une tâche qui, au jour le jour, n’a rien de très « naturelle ». Cet aveuglement sur les conséquences de l’aide familiale ne caractérise pas seulement les aidants mais aussi les aidés. S’ils en étaient conscients, ces derniers devraient faire preuve de suffisamment d’altruisme et protéger leurs filles ou leurs épouses contre ce qui peut rapidement devenir un enfer.

Enfin les pouvoirs publics ont une responsabilité aussi. Faute de ressources, ils ont tendance à compter sur les familles. Mais, ce n’est souvent là qu’une politique à courte vue. Le coût social indirect de la dépendance (qui résulte de la prise en charge médicale des aidants naturels) se révèle souvent plus élevé que le coût direct et justifie le développement de structures d’accueil pour les dépendants.

Tout cela n’est guère réjouissant. D’autant que les solutions ne sont pas légion. Seule lueur d’espoir, devenir un riche banquier, comme nous l’explique Victor Ginsburgh dans son blog ci-dessous.

(1) Dans une enquête récente auprès de personnes dépendantes, il apparaît qu’un répondant sur six a vécu l’une des formes de maltraitances allant au-delà du manque d’attention et de la maltraitance verbale à la maltraitance physique, sexuelle, financière, civique ou médicale. Voir Marie-Thérèse Casman, Etude sur le bien-être des personnes de plus de 70 ans en Wallonie, Panel Démographie Familiale – Université de Liège 2010.

Ô les belles banques et leurs honnêtes dirigeants

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Victor Ginsburgh

Un député, membre de la commission spéciale qui a examiné la faillite de Dexia, a été très direct en disant « La chute de Dexia ? Tout sauf à pas de chance » ; néanmoins, ajoute-t-il, « identifier les responsabilités, même si pour moi elles sont évidentes, la Commission ne le fera pas » (1). Et ce en dépit du fait que « les constatations mettent explicitement le doigt sur certaines responsabilités personnalisables [et avancent] des faits utilisables pour des devoirs d’enquête supplémentaires » (2), y compris pour ce qui s’est passé durant l’ère Dehaene et Mariano pour laquelle « nous avons clairement identifié des problèmes, des faiblesses, des signes de choses qui n’auraient pas dû arriver » (2). Donc, personne—sauf nous, c’est-à-dire vous et moi—ne sera tenu pour responsable des €4 milliards qu’a coûtés la reprise de Dexia par l’Etat belge, et des 45 milliards de garantie que nous lui avons donnés. Nous parce que c’est nous qui allons un jour, pas si lointain sans doute, devoir payer. Y compris les retraites dorées et les « virages ambulatoires » (3) de leurs ex-dirigeants.

Les anciens dirigeants de Fortis sont (enfin) soupçonnés par l’autorité des marchés financiers d’avoir lancé en 2008 des « informations incorrectes et trompeuses », ce qui pourrait les amener à comparaître en justice (4). Amende maximum : €2,5 millions, des cacahuètes.

Constater que ce n’est guère différent dans le reste du monde est une piètre consolation, mais voyons quand même comment « les banques gagnent, une fois de plus » ou pire pourquoi « les banques gagnent toujours », deux titres d’éditoriaux récents du New York Times (5).

Il y a peu, huit banques, dont JPMorganChase, Bank of America, Wells Fargo et Citigroup, ont été condamnées par les autorités américaines de régulation (la SEC, dont le rôle principal est de surveiller les institutions financières) pour diverses malversations. Parmi celles-ci, citons au hasard les suivantes : conseiller à ses propres clients d’acheter des fonds de placement, tout en jouant soi-même à la baisse sur ces fonds ou en tâchant de s’en débarrasser ; rouler les acquéreurs de logements en leur refusant à tort des modifications des contrats d’emprunt ; utiliser à son profit et pas à celui des clients, les milliards qu’ils ont déposés—chez Goldman Sachs, les clients sont d’ailleurs appelés « marionnettes » (6). L’amende s’élève à $1,2 milliards, mais les banques ne devront probablement pas la payer si elles acceptent d’assumer les obligations qui leur ont été imposées par la justice pour aider les propriétaires de logements à rééchelonner leurs dettes.

En réalité, dans la plupart des cas de fraudes, la SEC permet aux banques de ne pas payer les amendes qu’elle leur impose, en leur faisant promettre… de ne plus frauder, promesses qu’elles oublient évidemment dès le lendemain du « pardon ». La JPMorganChase, par exemple, a payé six amendes durant les 13 dernières années, mais a obtenu durant la même période 22 pardons, en arguant qu’elle « pouvait faire preuve d’un palmarès solide de son respect pour les lois » (7). Le New York Times (8) qui a analysé les investigations de la SEC durant les dix dernières années a dénombré 350 cas de pardons, ce qui permet entre autres aux banques d’éviter des poursuites collectives (class-action) par leurs actionnaires.

Et l’une des raisons pour laquelle les banques américaines gagnent à tous les coups, est qu’entre 1990 et 2010, elles ont distribué $2,3 milliards de contributions aux campagnes électorales des parlementaires, ce qui fait dire au New York Times que « notre parlement est aujourd’hui un forum de corruption légale » : 61 parlementaires sur les 435 qui font partie de la Chambre sont membres du Comité des Services Financiers (9). Y a plein de grosses miettes à ramasser.

« Bonus, bona, bonum, Deus sanctus » (10), comme le prétendent les banquiers quand ils vous proposent un placement.

(1) Voir RTBF Info du 19 mars 2012. http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_georges-gilkinet-la-chute-de-dexia-tout-sauf-la-faute-a-pas-de-chance?id=7732926

(2) George Hübner, expert faisant partie de la Commission. Voir L’Echo, 11 avril 2012.

(3) Voir le blog qui précède de Pierre Pestieau.

(4) RTBF 17 avril 2012, http://www.rtbf.be/info/economie/detail_fortis-la-justice-pourrait-vouloir-remettre-les-pendules-a-l-heure?id=7749134

(5) The banks win, again, New York Times, March 17, 2012 et Banks always win, New York Times, April 5, 2012. http://www.nytimes.com/2012/03/18/opinion/sunday/the-banks-win-again.html et http://www.nytimes.com/2012/04/06/opinion/banks-always-win.html

(6) Greg Smith, Why I am leaving Goldman Scahs, New York Times, March 14, 2002. http://www.nytimes.com/2012/03/14/opinion/why-i-am-leaving-goldman-sachs.html?pagewanted=all

(7) Traduction libre de l’anglais « a strong record of compliance with securities laws ».

(8) Voir E. Wyatt, SEC is avoiding tough sanctions for large banks, New York Times, February 3, 2012. http://www.nytimes.com/2012/02/03/business/sec-is-avoiding-tough-sanctions-for-large-banks.html?pagewanted=all

(9) T. Friedman, Did you hear the one about the Bankers ?, New York Times, October 29, 2011. http://www.nytimes.com/2011/10/30/opinion/sunday/friedman-did-you-hear-the-one-about-the-bankers.html

(10) Sganarelle dans l’acte II, scène 4, du Médecin malgré lui de Molière.