vendredi 6 janvier 2012

Du Metropolitan Museum, New York à Lehman Brothers, New York

Du Metropolitan Museum, New York à Lehman Brothers, New York

Victor Ginsburgh

« Je me voyais proposer et exécuter des « deals », siéger à des conseils, lécher des culs, et mentir. En guise de compensation, je portais des costumes Savile Row et une serviette Hermès. Je disposais du téléphone de Madame Claude à Paris et fréquentais les meilleurs clubs dans une demi-douzaine de villes. Mais j'ai été victime d’un problème : mon incapacité de développer cette opacité morale, seule clé du vrai succès à Wall Street. »

Ces réflexions, comme celles qui suivent, sont celles qu’exprime un ancien conservateur de peintures au Metropolitan Museum, devenu, en 1961, « investment banker » chez Lehman Brothers (1).

« Je m’amusais bien mais il y avait un aspect que je trouvais moralement déroutant voire même désagréable: Le New York Stock Exchange avait envoyé son président, G. Keith Funston en campagne pour exhorter le prolétariat à posséder sa part de l'Amérique! Comme si l'achat de 50 actions IBM ou GM en 1961 était un devoir civique semblable à celui qui avait consisté à souscrire à l’emprunt de guerre en 1943. Pourtant, c’était l’époque où Wall Street était fondamentalement honnête. En 1970, les traders ont commencé leur longue marche dans les grandes maisons de la finance, avec l'inévitable conséquence du peu de clarté des comptes, et d’une élaboration grandissante des manières de corrompre. La guerre de la cupidité avait commencé.

« 2011 s’achève, mais aucun des problèmes majeurs qui ont conduit à la crise de 2008 n’a été résolu. Les bilans des banques puent. L'Europe financière s’engouffre dans un trou noir. Wall Street et ses ministres ont recommencé à mentir : c’est, disent-ils, le gouvernement qui porte la responsabilité de ce qui est arrivé.

« En fait, ce grand mensonge a une longue histoire. Il date de l'été 1932, et d’une réflexion de F. D. Roosevelt à Leffingwell, un partner de Morgan : ‘Je souhaiterais que les banquiers admettent les abus graves qu’ils ont commis entre 1927 et 1929’. A quoi Leffingwell réplique : ‘Ce ne sont pas les banquiers qui sont responsables de la crise, mais les politiciens. Pourquoi les banquiers devraient-ils faire une fausse confession?’

« Il faut faire payer ces salauds (bastards) pour la désolation et le malheur qu'ils ont provoqués. Le journaliste et satiriste H.L. Mencken (1880-1956) avait proposé que la première chose à faire lorsqu’une banque fait faillite, c’est de pendre son conseil d’administration. Je n’irai pas aussi loin, mais il faut qu’ils paient.

« J'ai maintenant 75 ans. Si quelqu’un me demande ce qui a été la grande histoire de ma vie, je répondrais: C'est l’histoire de la corruption qui s’est répandue comme un brouillard excrémentiel sur le paysage de nos espoirs. Si vous m’aviez parlé de pareille pourriture il y a soixante ans, je vous aurais dit que vous étiez fou. Et j'aurais eu tort. Ce qui est arrivé dans ce pays a fait un mensonge de mon enfance.

« L’Amérique devrait être plus que cela, et il est temps je pense, que nous reprenions possession de notre pays. »

Nous devrions peut-être aussi y penser…

(1) Michael M. Thomas, The big lie: Wall Street destroyed the wonder that was America http://www.thedailybeast.com/newsweek/2011/12/25/wall-street-has-destroyed-the-wonder-that-was-america.html

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