vendredi 25 novembre 2011

Juste un problème de vocabulaire ?

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Victor Ginsburgh

Un récent article du New York Times (1) compare le vocabulaire utilisé par les politiciens qui décrivaient la crise des années 1930 à celui qu’ils utilisent en décrivant celle que nous sommes en train de vivre.

En 1934, des millions d’Américains sont au chômage et sont forcés de renoncer à leur logement. A l’époque, le Président Roosevelt crée un « Comité de Sécurité Economique », et dans un discours au Congrès, il souligne qu’il place en tête de ses priorités « la sécurité des hommes, des femmes et des enfants de la nation [qui veulent] des logements décents, localisés près des pôles d’emploi, ainsi que des garanties qui les protègent des infortunes qui ne peuvent être entièrement éliminées de ce monde que nous avons fait ». En 1936, paraît l’ouvrage de Keynes Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie et les Etats-Unis se dotent d’un système qui assure des pensions et protège contre le chômage.

En 2010, le Président Obama qui fait face à des circonstances très similaires, crée une « Commission Nationale de Réforme et de Responsabilité Fiscale », qui doit « remédier à la situation fiscale, faire des propositions qui assurent la viabilité à long terme du budget, et mettre un frein à la croissance des « droits » (2). En août 2011, le Congrès décide, non pas d’aider ceux qui sont dans le besoin, mais, dans un langage technocratique et abstrait, de réduire les « droits » et le déficit de $1 500 milliards en dix ans. Que veut dire 1 500 milliards de dollars pour tous ceux qui touchent des revenus de l’ordre de mille dollars par mois, voire moins, et qui n’ont pas la chance d’avoir des parachutes, sûrement pas dorés, mais pas même vaguement colorés ? En 1934, continue l’article, les mots utilisés étaient hommes, femmes, risque que court le bien-être des familles. Aujourd’hui les mots sont budget, réduction des dépenses sociales. Mais il serait injuste de ne pas reconnaître que le secteur public est autrement plus important aujourd’hui.

Dans son ouvrage, The Age of Fracture, l’historien Daniel Rodgers montre combien le discours public américain qui, en 1930, parlait des conditions de vie du citoyen moyen, parle aujourd’hui de préférences et de choix individuels, de théorie de l’agence, de contrats (3): « Le langage sociologique et la culture commune ont été remplacés par le langage économique et l’individualisme ».

Mais peut-être est-ce finalement la faute de Keynes lui-même, qui pensait que les économistes étaient bien meilleurs lorsqu’ils essaient de traiter de petits problèmes comme les dentistes qui examinent une petite partie du corps, mais peuvent quand même nous soulager. Au risque de perdre la vue générale et de nous faire mourir parce qu’ils n’ont pas détecté la gangrène qui menace le gros doigt de pied.

***

J’ai assisté, vendredi dernier, à une conférence à la KUL en l’honneur d’un collègue, professeur d’économie, en partance à la retraite (4). La dernière session était consacrée au futur de l’Union Monétaire Européenne. Elle réunissait six économistes de tous bords et un homme politique. Ce panel comptait deux belges, trois anglais, et deux allemands, des personnalités bien plus éminentes que le Super-Mario de mon blog de la semaine dernière. Presque sept avis différents allant de « il faut tout faire pour éviter que la Grèce et l’Italie quittent la zone euro », jusqu’à « il faut laisser les marchés ‘punir’ ces deux pays, et peut-être d’autres qui suivront », en passant par « c’est la faute des hommes politiques » qui, à tort, ont voulu l’Union Monétaire avant l’impossible union politique—ce qui est certainement une raison très vraisemblable. A terme nous en serons les victimes. En attendant, tous les pays s’accordent pour se serrer la ceinture, ou plutôt celles de leurs administrés, ce qui risque de conduire à une crise du style des années 1930. Sans aucun doute le plus mauvais commun dénominateur, concluait un des sept panelistes … un de plus libéraux.

Ce n’est ni très rassurant, ni très agréable d’être économiste aujourd’hui…

(1) T. Marmor and J. Mashaw, How do you say ‘Economic security’, The New York Times, September 23, 2011.

(2) Ou plutôt « droits acquis », ce qui traduit mieux le terme anglais « entitlements » de l’article du NYT.

(3) On assiste aujourd'hui à la banalisation du concept de responsabilité et de mérite. On parle de pauvres ou de chômeurs méritants, ce qui décharge la collectivité de ses responsabilités.

(4) Retraite due à la règle belge « la retraite à 65 ans », que l’on soit bon ou médiocre. En fait, il ira enseigner à Londres dans un des meilleurs établissements d’enseignement supérieur au monde.

Les conseilleurs ne sont pas les électeurs

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Pierre Pestieau

Entre la théorie et la pratique, il y a plus que la distance entre Washington et Bruxelles. En discutant avec des économistes du FMI, ceux-là mêmes qui proposent des réformes fiscales au gouvernement belge, cela m’est apparu évident. Témoins, trois recommandations (à propos des intérêts notionnels, de l’uniformisation de la TVA et des impôts fonciers) qui théoriquement sont raisonnables, mais qui sous un certain emballage technocratique peuvent être mal perçues et avoir des conséquences désastreuses.

Commençons par les intérêts notionnels (1). Dans tous les séminaires de finances publiques portant sur l’imposition des sociétés, la Belgique est louée pour cette mesure qui fait pourtant débat. L’idée en est simple ; il s’agit de réduire la discrimination fiscale pratiquée universellement entre le financement avec capital emprunté et le financement avec capital à risque. En effet, dans le cas de fonds empruntés, l’intérêt payé est déductible de la base imposable alors que dans le cas de fonds propres, les dividendes ne le sont pas, et sont par conséquent taxés deux fois, une première fois dans le chef de l’entreprise qui les distribue, et une deuxième fois dans celui qui les perçoit. Les intérêts notionnels sont donc une idée honorable qui veut accroître l’efficacité du système et ne doit pas nécessairement entraîner une réduction de l’impôt des sociétés. Il suffit de relever le taux statutaire pour que l’opération soit blanche. Malheureusement, l’introduction des intérêts notionnels a été ressentie par une majorité des Belges comme une nouvelle tentative, sournoise de surcroît, de réduire l’imposition du capital au détriment de celle du travail (2). Les promoteurs des intérêts notionnels ont négligé de distinguer deux aspects : l’efficacité qui est entravée par la discrimination dont bénéficient les capitaux empruntés et l’équité qui requiert que chaque partie paie son dû en fonction de ses capacités contributives.

L’uniformisation de la TVA au taux plein est aussi une mesure est souhaitable à condition d’être accompagnée de compensations au travers de certains programmes sociaux et de l’impôt sur les personnes physiques (IPP). Sans ces compensations, elle soulève de légitimes interrogations quant à sa régressivité. La théorie économique nous enseigne que l’IPP est un instrument de redistribution plus efficace qu’une TVA à taux réduit sur les biens de nécessité, dont même les « riches » bénéficient. Cette proposition requiert cependant que l’IPP soit progressif non pas seulement en théorie mais dans les faits. Pour une progressivité effective, on doit d’abord abolir les niches fiscales qui sont, elles, rarement redistributives.

Enfin, l’impôt sur la propriété foncière. La Belgique semble recourir moins à ce financement que ses voisins. Partant du principe que la pratique de ces mêmes voisins constitue un bon étalon, les experts du FMI estiment qu’il y a là un gisement de recettes fiscales tout indiqué. Sans aucun doute, mais cela exigera de repenser le financement des pouvoirs locaux (région, agglomération dans le cas de Bruxelles et communes) qui lèvent cet impôt. Un financement des communes et des villes davantage basé sur les valeurs immobilières pourrait créer de fortes discriminations au détriment des communes pauvres. Ici aussi l’intention est bonne mais si la mesure n’est pas accompagnée et si elle n’est pas expliquée au citoyen, elle peut entraîner une opposition coûteuse.

Voici trois exemples de mesures fiscales qui sont a priori raisonnables mais qui pour être menées à bien réclament un exercice de pédagogie et un accompagnement qui ne les fassent pas passer pour injustes et donc inacceptables. Nous vivons une période de disette budgétaire et d’inégalités sociales. L’un et l’autre problème doivent être gérés avec discernement.

(1) En anglais on parle de ACE (adjusted current earnings), terme plus approprié puisque nous sommes les as de l’imposition des sociétés.

(2) Quand on lit les déclarations officielles défendant les intérêts notionnels, on est frappé par la confusion des arguments.

vendredi 18 novembre 2011

Au nom de la transparence

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Pierre Pestieau

Que de débats sur la transparence, qui est souvent perçue comme une vertu. Elle peut être un facteur de démocratie comme ce fut le cas de la « glasnost ». Elle est considérée comme un vecteur essentiel dans une économie vraiment libérale. Dans un ouvrage récent (1), la transparence est présentée comme la panacée du capitalisme financier ; mais comme souvent dans ce type de livre à thèse, il s’agit d’une transparence sélective. En réalité, trop de transparence peut être nuisible. Après tout, les tentures de nos habitations servent à préserver notre intimité et à limiter en quelque sorte un excès de transparence. Sans entrer dans le débat sur les éventuels excès de Wikileaks, je voudrais prendre deux exemples où trop de transparence peut être préjudiciable. Ils mettent en jeu le couple, le couple homme/femme traditionnel et le couple Flamand/Wallon.

Il est frappant de comparer la répartition des tâches ménagères telle qu’elle apparaît dans des enquêtes et telle qu’on la découvre dans des micros trottoirs. Les enquêtes régulières de l’INSEE (Institut National de Statistique en France), nous apprennent qu’au sein du couple la femme continue d’assurer l’essentiel des tâches domestiques, qu’elle ait ou non une occupation professionnelle. En revanche, quand elles sont interviewées de manière informelle, les femmes aiment à dire que leurs maris ou compagnons participent amplement à ces tâches. La série télévisée américaine Madmen, qui a pour cadre le New York publicitaire des années 1960, utilise jusqu’à la caricature deux caractéristiques de cette époque : le tabagisme et la femme au foyer. Imaginons que dans les couples modernes, un compteur puisse mesurer avec précision l’implication de l’homme et de la femme dans le travail ménager. Apparaîtrait alors, sur ce compteur situé entre l’horloge de la cuisine et le thermomètre, et en toute transparence, l’hiatus entre la croyance et la réalité ; il est vraisemblable que l’on assisterait à des tensions ingérables dans le couple. Ici comme dans d’autres domaines, l’impressionnisme est sans doute souhaitable.

Venons-en à la relation entre les deux principales régions belges (2). Il y a moyen d’organiser l’impôt sur les personnes physiques (IPP) de trois façons : un barème unique et des transferts implicites entre les régions, qui est le régime sous lequel nous avons vécu jusqu’ici ; des barèmes régionaux qui pourraient être différents, sans transferts entre régions, ce qui serait inefficace, parce que la perte subie par la Wallonie serait supérieure au gain du côté flamand ; et enfin, des barèmes régionaux différents, accompagnés de transferts explicites de la Flandre vers la Wallonie. Cette solution est sans conteste la meilleure. Par rapport au système actuel de barème unique, qui génère des transferts nord-sud implicites, tout le monde s’en trouverait mieux. Et pourtant…

En rendant explicite la « dépendance » d’une région par rapport à l’autre, on ouvre la porte à la remise en cause du couple national. Tant que tout va bien, pas de problème. C’est d’ailleurs le cas de la plupart des pays qui connaissent des transferts interrégionaux plus importants que les nôtres. Mais à la moindre étincelle, le feu de la discorde risque de mener au divorce. Ce risque n’est bien sûr pas limité à notre pays. Le problème dont il est question ici est celui du tagging (marquage, identification) ; il se pose dès lors qu’une société peut être segmentée en sous-groupes entre lesquels, pour des raisons de langue, de couleur, de taille, de culture ou de religion, il y a peu de mobilité. S’il y avait mobilité entre ces sous-groupes, tout avantage donné aux travailleurs qualifiés d’un sous-groupe entraînerait un afflux des travailleurs qualifiés appartenant à l’autre sous-groupe jusqu’à la disparition de l’avantage. La Belgique est caractérisée par une mobilité limitée entre ses différentes régions. En gardant un IPP fédéral, elle évite une remise en compte des transferts implicites qui, par définition, ne pouvent pas être explicités avec précision. Si l’on adopte des barèmes fiscaux différents, on opère une démarche souhaitable du point de vue de l’efficacité économique mais uniquement si cette opération est accompagnée par des transferts explicites d’une région à l’autre. Il est sans doute trop tard pour le couple belge ; mais la leçon peut servir à d’autres.

(1) Voir à ce sujet Augustin Landier et David Thesmar, La société translucide : pour en finir avec le mythe de l'État bienveillant, Paris : Fayard, 2010.

(2) Pour des raisons de clarté, je fais l’impasse sur Bruxelles et sur la communauté germanophone.

Super-Mario, éminent économiste italien

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Victor Ginsburgh

La presse de ces derniers jours a beaucoup qualifié d’« éminent » ou de Super-Mario, un certain Mario Monti, nouveau Président du Conseil italien, ministre de l’Economie et ancien commissaire européen. Il y a beaucoup d’économistes éminents, aussi bien parmi les morts, que parmi ceux qui, comme nous, vivent encore et Dieu sait combien la situation dans laquelle ils nous ont fourgués les a rendus éminents. Mais proclamer que Super-Mario est éminent est plutôt paradoxal.

Lorsqu’il était commissaire européen, il a contribué à l’introduction dans l’Union Européenne du droit de suite (DS). Ce droit réserve à l'artiste (et surtout à ses ayants droit, jusqu’à 70 ans après son décès) une partie (3 à 5%) du prix de vente lorsque ses œuvres originales (peintures, sculptures, multiples, vidéos, etc.) sont revendues en vente publique. Le prétexte à son introduction vient du bon (mais, aujourd’hui, peu vérifié) sentiment que l’artiste est en position de faiblesse lorsqu’il négocie avec la galerie ou le marchand et pourra, grâce au DS, et pour autant qu’il vive encore (1), récupérer une partie de son dû, lorsque ses œuvres seront revendues à gros prix chez Christie’s ou Sotheby’s.

Ce que tout économiste admettra dès sa première année à l’université, même s’il n’est pas éminent, c’est que le prix de la première vente, grevée par le DS futur, s’ajustera à un niveau plus faible que celui qui prévaudrait sans DS. La raison est simple. Le DS impose une contrainte sur les transactions futures qui se traduit par une réduction des prix lors de la première vente par l’artiste. En effet, les acheteurs anticiperont la contrainte et ne seront pas prêts à payer le « prix plein » puisque le DS pèsera sur les prix futurs et rendra la revente plus difficile. C’est comme une maison avec servitude qui se vendra moins cher que la même maison sans servitude.

On peut donc s’attendre à ce qu’un jeune artiste qui calcule mieux que Super-Mario préfèrera la valeur immédiate plus élevée que son œuvre aurait en l’absence de DS, plutôt que d’investir avec l’espoir (assez mince, d’ailleurs) que son œuvre se revendra chez Christie’s dans quelques années.

Du fait que le prix de la première transaction entre l’artiste et son acheteur diminue, certains artistes qui auraient embrassé la carrière seront découragés et se tourneront vers d’autres possibilités : trader, professeur d’économie, ministre des affaires économiques, ce qui pourra sans doute provoquer une nouvelle crise, mais difficilement contribuer à l’augmentation de la production artistique.

Or, que dit Super-Mario ? Il dit : « Le droit de suite contribuera de façon décisive au développement de l'art moderne en Europe » (2). Un manque élémentaire de rigueur économique, qui n’a d’ailleurs pas manqué d’être repris dans la plupart des pays de l’UE, comme en Belgique, par son ministère des affaires économiques. Le titre du communiqué de presse qui faisait part de la bonne nouvelle aux futurs artistes belges annonçait : « Jeunes artistes ? Le droit de suite assure votre avenir » (3).

Super-Mario, qui a aussi été professeur de science économique à Turin et à Milan, a fait là une erreur de raisonnement qui serait de nature à le voir échouer à l’examen de première année qu’il ferait subir à ses propres étudiants. Espérons qu’il fera mieux en tant que Président du Conseil italien et ministre de l’Economie. Ce qui ne devrait pas être trop difficile après Bunga-Bunga-Silvio.

(1) Ce qui est rare. On a pu montrer qu’exception faite du top 50, les artistes vivants dont les œuvres sont revendues dans des ventes publiques (il faut qu’ils soient déjà très célèbres pour que cela arrive) perçoivent plus ou moins mille euros par an de DS et que la grande partie du DS collecté est versée aux ayants droit des artistes décédés. Forcément, le DS est payé pendant les 70 ans qui suivent le décès de l’artiste. Voir Victor Ginsburgh, Droit de suite, in R. Towse, ed., A Handbook of Cultural Economics, Cheltenham: Edward Elgar, 2011.

http://www.ecares.org/ecare/personal/ginsburgh/papers/176.%20towse.pdf

(2) Voir Suzanne Perry, Artists should benefit when works sold, EU says, Reuters REU2348 3 OVR 365 (ECR EEC GB LIF NEWS) F1301225, March 13, 1996.

(3) Communiqué de Presse, SPF Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie, site web: http://mineco.fgov.be/press_releases/press_releases_pdf/press_release_31102007_fr.pdf

vendredi 11 novembre 2011

Us et coutumes de la SABAM, une fois encore

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Victor Ginsburgh

La SABAM (Société Belge des Auteurs, Compositeurs et Editeurs) ne recule devant rien et fait flèche de tout bois, que ce soit illégal ou légal.

La dernière histoire vient de m’être racontée par Charlotte M. qui s’occupe d’un orchestre dans le Brabant wallon. Elle a reçu il y a quelque temps une facture de la SABAM lui demandant de payer 8000 € de droits d’auteur pour des œuvres produites mais qui n’avaient pas encore été déposées auprès d’une société d’auteurs. Article 21 de ladite SABAM (1) : les œuvres non déposées ne donnent pas lieu a perception. La justice a été saisie de la question et le jugement qui vient d’avoir lieu a évidemment donné tort à la SABAM.

Il y a quelques mois, la SABAM a longuement expliqué qu’elle allait faire un geste et ne pas demander de droits d’auteur aux organisateurs du concert qui a été annulé suite aux intempéries et aux morts au Pukkelpop (2). Générosité ? Non, mensonge, parce que s’il n’y a pas de concert, il n’y a pas de « communication au public » des œuvres protégées, donc la SABAM n’a aucun droit de collecter des droits d’auteurs. Merci C.K.

Dans la vidéo édifiante qui suit, la SABAM est montrée facturant, début 2011, des droits d’auteurs pour rémunérer plusieurs groupes qui n’existent pas :

http://www.rtbf.be/video/v_fraude-de-la-sabam-la-societe-des-auteurs-compositeurs?id=748573&category=info

Certains autres actes de la société ont été suivis d’inculpations pour fraude en 2007 (3), à des soupçons de fraude en 2005 (4), à des critiques du gouvernement sur l’opacité de sa gestion en 2002 (5), à une condamnation pour abus de position dominante dans sa politique de prix en 2001 (6), etc. L’imagination est au pouvoir et il faut lui reconnaître qu’elle essaie de s’en sortir par tous les moyens dans lesquels l’illégalité et le mensonge triomphent.

Mais la société n’hésite pas non plus à utiliser des moyens « légaux », dont un appel au secours adressé aux hommes politiques. En cause, non, pas comme vous pourriez le penser, le « pillage » par ces pirates d’internautes (7). Cette fois, c’est la faute des fournisseurs d’accès à l’internet (8). En effet, selon le directeur général de la SABAM « on assiste année après année à une dégringolade de notre chiffre d'affaires et elle est quasiment exclusivement due au fait que les CD ne se vendent plus (…) nous ne percevons plus de droits sur les CD et nous en appelons constamment à une action au niveau politique, au niveau législatif pour essayer de contrer ce gros problème. (…) Nous considérons que les fournisseurs d'accès sont devenus les nouveaux distributeurs de musique. Ils se sont emparés d'un marché qui était, avant, une distribution matérielle de supports (…) et donc nous pensons qu'effectivement ils posent un acte qui est soumis aux droits d'auteurs ». Au secours !

La SABAM se prend pour une entreprise qui peut faire appel au politique et au législateur dès que son chiffre d’affaires et ses profits diminuent. En 2010, près de 10.000 entreprises belges ont fait faillite. Ont-elles pu faire appel à l’aide de l’Etat ? Les situations changent, et quand on ne s’adapte pas aux situations parce qu’on est protégé par la position de monopole sous laquelle on s’abrite, on risque en effet de finir mal. Il est facile de mendier quand on a mal prévu, mal géré, été accusé de fraudes diverses, d’opacité de gestion, d’abus de position dominante, et de non-respect de son propre règlement.

Il est temps de repenser le droit d’auteur. Et de contrôler beaucoup plus sérieusement et plus fermement les sociétés qui le gèrent avec autant de légèreté (9).


(1) « Afin de permettre la perception et la répartition des droits, la déclaration de toutes les œuvres éditées est obligatoire. Si lœuvre n'est pas éditée, sa déclaration est laissée à l'appréciation de l'ayant droit. Celui-ci ne pourra cependant prétendre à quelques répartitions que ce soit pour une période antérieure à la déclaration. »

(2) Le Soir du 25 août 2011 Voir http://www.lesoir.be/culture/musiques/2011-08-25/la-sabam-ne-demande-pas-d-argent-au-pukkelpop-858424.php

(3) Voir http://archives.lesoir.be/inculpations-pour-fraude-a-la-sabam_t-20071026-00DHEP.html

(4) Voir http://msmvps.com/blogs/xpditif/archive/2005/03/04/37547.aspx

(5) Voir http://archives.lesoir.be/la-sabam-se-fait-taper-sur-les-droits-medias-le-conseil_t-20020720-Z0M331.html

(6) Voir http://www.droit-technologie.org/actuality-415/la-societe-d-auteur-sabam-condamnee-pour-abus-de-position-dominante.html

(7) Aurait-t-elle finalement accepté, comme devraient le faire les producteurs de disques, les conclusions des études économiques faites par les chercheurs universitaires qui depuis des années n’arrêtent pas de montrer que le pillage semble représenter au plus 25% de la réduction des ventes des supports habituels (CDs et DVDs). Pour le reste, c’est le marché qui a changé et les acteurs qui ne se sont pas adaptés à ces changements. Voir par exemple Oberholzer-Gee, Felix and Koleman Strumpf (2007), “The effect of file sharing on record sales: An empirical analysis,” Journal of Political Economy 115(1): 1-42 et Zentner, Alejandro (2006), “Measuring the effect of file sharing on music purchases,” Journal of Law and Economics 49(1): 63-90.

(8) Voir http://www.rtbf.be/info/economie/detail_les-cd-ne-se-vendent-plus-la-sabam-perd-de-l-argent?id=6231453

(9) Et la Belgique n’est pas seule dans le cas. La SACEM, sœur jumelle de la SABAM qui sévit en France, a été sermonnée par le Ministre de la Culture à l’Assemblée Nationale (22 décembre 2010). En cause, « la justification des frais de gestion et les coûts de structure invraisemblables ». Plusieurs mois plus tard, la mission chargée d’examiner les comptes n’a toujours pas été lancée, et ne le sera probablement jamais. Bravo M. Frédéric Mitterand.

Perception et réalité

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Pierre Pestieau

Lors d’un récent voyage en Colombie (1), j’ai recueilli des impressions très contrastées. D’abord, un sentiment de sécurité amplifié par les propos de mes amis colombiens sur le rôle de l’ancien président Uribe, un autocrate dont le mérite aurait été d’avoir réduit la violence, et le sentiment qu’avec la drogue, la violence se serait déplacée de la Colombie au Mexique. Au cours de mon séjour, je reconnais que je ne me suis jamais senti en danger; il est vrai que j’étais toujours accompagné. A côté ou plutôt avec la violence, on ne peut qu’être frappé par la prégnance de la drogue. Vous voyez une rutilante BMW avec chauffeur et vitres teintées. C’est la drogue. Un restaurant dont les tarifs donneraient envie à des établissements étoilés ne peut être fréquenté que par les narcotrafiquants. Un nouvel hôtel 5 étoiles ne peut que sentir la coca.

Qu’en est-il en réalité ? La Colombie est-elle violente ? D'après un récent rapport intitulé Fardeau mondial de la violence armée (2), il apparaît que la plupart des pays touchés par les morts violentes ne sont pas en guerre. Le Salvador, avec plus de 60 morts pour 100.000 habitants, détient la palme. Il est suivi par l'Irak, la Jamaïque, le Honduras, la Colombie, le Venezuela, le Guatemala et le Brésil. Le Mexique n’appartient pas au peloton de tête avec un taux national de 18,4 morts violentes pour 100.000 habitants, mais un taux de 170,4 à Ciudad Juarez, soit 20 fois le taux mondial (3). Le rapport révèle que l'Amérique latine est la région la plus violente au monde. La violence fait des ravages particulièrement dans six pays (Salvador, Honduras, Colombie, Venezuela, Guatemala et Belize). Il existe un lien entre le niveau d'homicides dans la population, le sous-développement, les inégalités de revenus et la faiblesse de l'Etat de droit. Mais cela ne suffit pas, sinon l’Afrique serait le continent le plus violent. L’histoire et les traditions jouent donc aussi un rôle important.

Et la drogue ? Voilà près de 30 ans que la Colombie est perçue comme le « pays de la drogue ». Le pays est à la fois le premier producteur et raffineur mondial de coca (4), et le premier exportateur de cocaïne. L’économie de la drogue pose le problème du narcotrafic illégal, et celui d’un Etat légal qui lutte contre ce commerce. Elle résulte d’un mélange complexe de questions politiques, économiques, sociales, environnementales, juridiques, géopolitiques, etc. De plus, elle s'inscrit dans le cadre d’un pays victime de nombreuses tensions internes (conflit, faiblesse de l'Etat vis-à-vis des contrôles territoriaux, contre-pouvoirs internes etc.). Ceci étant, on a parfois l’impression que la drogue a bon dos et qu’on lui impute une importance qu’elle n’a pas nécessairement. Quelle est l’importance de la drogue dans l’économie colombienne? En interrogeant plusieurs économistes, je suis arrivé à une fourchette de 3-5% du PIB. Ce qui est beaucoup et peu. Trop peu en tout cas pour en voir la présence à tous les coins de rue.


(1) Pays passionnant et attachant que m’a fait aimer il y a près de cinquante ans mon ami Bernardo Garcia auquel je dédie ce blog. C’était dans la Casa Colombiana, sise Muntstraat à Leuven. Bernardo est depuis ce temps resté fidèle à ses convictions et à ses engagements. C’est assez rare pour être souligné.

(2) http://www.genevadeclaration.org/fileadmin/docs/GBAV2/GBAV2011-Ex-summary-FRE.pdf

(3) Ce qui montre qu’ici plus qu’ailleurs, il faut se méfier des moyennes nationales.

(4) Le Pérou lui disputerait le titre pour la culture et le Mexique pour le raffinage.

vendredi 4 novembre 2011

Le meilleur économiste

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Pierre Pestieau

Etant moi-même économiste, je parlerai d’économie. Mais mon propos qui porte sur l’excellence et la réputation peut s’appliquer à toute discipline scientifique ou artistique, voire sportive, encore que dans le sport l’excellence est plus aisément quantifiable. On a beaucoup glosé à propos de Giscard d’Estaing lorsqu’il qualifia en 1976 Raymond Barre de “meilleur économiste de France”. A cette époque, des économistes comme Gérard Debreu, Marcel Boiteux ou Maurice Allais étaient certainement scientifiquement meilleurs que celui qui devait succéder à Chirac comme premier ministre. Récemment un ami proposait à des éditeurs parisiens un projet de livre dont il aurait dirigé la publication. On lui répondit que pour que l’idée soit intéressante il faudrait un directeur de publication davantage réputé, tel que Jacques Attali ou Alain Minc. Ici aussi sur le plan scientifique ni l’un ni l’autre de ces auteurs par ailleurs prolixes et introduits ne font le poids.

L’écart entre excellence et réputation se manifeste tout particulièrement dans le milieu intellectuel français à propos des philosophes. Les philosophes médiatiques qui ont nom BHL, Badiou ou Finkelkraut voire Onfray sont souvent regardés de haut et sans doute jalousés par les philosophes universitaires qui leur trouvent plus de bagout que d’originalité.

Mais pourquoi cet écart ? Il est en grande partie dû à l’inaccessibilité du message du scientifique universitaire. Cette inaccessibilité est souvent inévitable. Elle est intrinsèque à la plupart des recherches. Toute recherche réclame des traducteurs, des vulgarisateurs. Je préfère utiliser le terme de passeurs d’idées, des gens qui réussissent à mettre à la portée du grand public les résultats de travaux à priori hermétiques.

D’une certaine manière, les auteurs cités ci-dessus ont parfois pu jouer ce rôle. Raymond Barre a parfois su expliquer l’économie à ses étudiants puis à la France entière avec clarté et rigueur. Attali et Minc ont, quand ils s’y appliquaient, pu rendre certaines problématiques économiques compréhensibles. Il demeure que les bons passeurs d’idées sont rares dans le monde francophone. Par comparaison, dans le monde anglophone, il en existe d’excellents qui le sont devenus après avoir été d’excellents scientifiques. On songe notamment à Paul Krugman et à Jo Stiglitz. Plus à droite, on peut citer Gary Becker et Marty Feldstein (1). Une raison pour cette rareté est sans doute que le débat est encore dominé par ce que l’on qualifie parfois d’hétérodoxie, une pensée unique qui s’inscrit dans les traditions marxiste et institutionnelle. Cette pensée rejette l’économie orthodoxe que récompense régulièrement le Comité Nobel. Autre raison, la taille du marché.

Une note d’optimisme cependant. Depuis quelques années, des économistes comme Daniel Cohen, Thomas Piketty, Thomas Philippon, Esther Duflo publient des livres ‘grand public’ d’excellente facture et occupent une tribune mensuelle dans certains quotidiens français (2).

(1) Citons l’excellent blog ‘chicagolais’ de Gary Becker et Richard Posner : http://www.becker-posner-blog.com/. Ce blog a entraine la création de http://www.anti-becker-posner.blogspot.com/.

(2) Par exemple, le mardi dans Libération.

Le cours de l’euro diminue ? Vive l’euro

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Domenico Giannone et Victor Ginsburgh

Entre le 4 mai et le 23 septembre 2011 l’euro est passé de 1,48 à 1,34 dollars. La presse a essayé de nous faire croire que l’euro à 1,34 était faible et qu’heureusement il remonte. Ainsi l’Express en ligne du 14 octobre 2011 (1) explique que « la monnaie unique tentait de nouveau de tester la barre symbolique de 1,383 dollars l’euro ». Le 27 octobre 2011, le symbolique était atteint avec 1,39. Mais où est le symbolique quand on se rappelle que le 4 janvier 1999 l’euro était coté 1,17 dollars, et que le 26 octobre 2000, il descendait à 0,82 dollars. Il se trouve au dessus du dollar depuis 2004 et monte jusqu’à 1,60 dollars le 15 juillet 2008. Et alors ?

Il n’y a évidemment pas de valeur symbolique à un taux de change entre pays. La seule valeur intéressante à laquelle on puisse le comparer est le rapport des prix entre les deux pays. La théorie du PPP (purchasing power parity, ou parité des pouvoirs d’achat) est basée sur l’hypothèse raisonnable que le taux de change entre l’euro et le dollar, par exemple (mais c’est vrai pour toute paire de monnaies) devrait s’ajuster de façon à refléter le rapport des prix dans l’Union Monétaire Européenne (UME) et aux Etats-Unis. Le Big Mac (beurk) sert souvent à comparer les prix entre les pays ou régions, parce qu’il est présent sous la même forme un peu partout. Si le taux de change $ par € ($/€) est de 1,40 par exemple, le rapport des prix des Big Mac dans l’UME et les Etats-Unis devrait être égal à 1,40. Donc si le Big Mac se paie €1 à Bruxelles ou à Paris, il devrait coûter $1,40 à New York ou à San Francisco. Mais on peut heureusement faire mieux que de comparer des Big Mac en utilisant des paniers de consommation dans les deux pays, ce qui est fait dans les calculs menant au graphique que nous discutons maintenant.

Ce graphique illustre les deux rapports (taux de change $/€ et rapport des prix des paniers de consommation aux Etats-Unis et dans la zone euro) entre 1980 et 2010 (2) et en octobre 2011. Selon la théorie du PPP, à l’équilibre, les deux courbes devraient se confondre. On peut bien entendu accepter de petites déviations par rapport à cet équilibre, mais on constate que ces déviations sont tout sauf faibles. Ce qui indique qu’il y a manifestement un problème, que l’euro est surévalué depuis 2004 environ et ne semble pas poursuivre la baisse amorcée en 2010, malgré les problèmes qui secouent l’UME pour le moment. La surévaluation de l’Euro par rapport au dollar est d’environ 20%.

Il est temps que les journalistes comprennent ces idées très simples et arrêtent de faire paniquer les bonnes gens en prévoyant les graves dangers que poserait un euro plus faible par rapport au dollar.

(1) Voir http://votreargent.lexpress.fr/bourse/fiches-valeurs/devises-l-euro-stabilise-autour-de-1-38-dollar-marche_167951.html

(2) L’euro est véritablement devenue monnaie commune en 2002, mais les taux de change entre pays de l’UME avaient déjà été fixés en 1999. Pour la période 1980-1998, l’euro est remplacé par le Mark allemand (DM) dans le graphique. Le DM était en quelque sorte la monnaie étalon des pays du Marché Commun et de la CEE par la suite.