vendredi 7 octobre 2011

Anastasie

Pierre Pestieau

Mon attention a récemment été attirée par deux cas de censure (1) sans doute courants mais néanmoins choquants. Le premier consiste en une série de « corrections » dont une journaliste scientifique a été la victime pour des articles consacrés au Médiator et autres « médicaments/poisons » des laboratoires Servier. Le second concerne le sucrage d’un dossier consacré aux liens troubles entre Vuitton, le régime de Vichy et les nazis. Dans les deux cas, le scénario est le même. La direction de la publication ne veut pas perdre un gros annonceur et fait pression sur le journaliste au nom de l’emploi, le sien comme celui de ses collègues. Pour les mêmes raisons on trouve peu d’écho de ces affaires dans la presse traditionnelle. Il existe heureusement une presse alternative : Arrêt sur Image, Le Canard enchaîné et Mediapart pour prendre trois exemple emblématiques de médias qui dénoncent régulièrement ce type de scandales.

Virginie Bagouet est cette journaliste scientifique, collaboratrice du titre Impact Médecine qui a récemment déclaré devant une commission parlementaire que ses articles consacrés aux médicaments des laboratoires Servier étaient régulièrement envoyés aux dits laboratoires pour relecture et réécriture. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres d’articles censurés pour complaire aux industries pharmaceutiques, qui sont aussi les plus gros annonceurs et donc les principales sources de financement de la revue.. Le second cas a été relaté par Médiapart et Le Canard enchaîné. Le service publicité de Prisma presse aurait fait supprimer un article de Géo histoire sur la collaboration économique. Pour quel motif ? Ce dossier de cinq pages débutait par le passé collaborationniste de Vuitton. De quoi effrayer le service pub de Prisma presse, propriétaire de Géo histoire mais aussi de Gala, et de Femme Actuelle, dont la maison de luxe Vuitton est l'un des plus gros annonceurs.

Ces cas de censure me conduisent à deux réflexions. D’abord, ils ont des conséquences différentes. Cacher la nocivité d’un coupe-faim mortel comme Médiator est criminel ; empêcher un journaliste de la révéler l’est tout autant. Il s’agit en l’occurrence de plusieurs centaines de morts. S’acharner à cacher le passé collaborationniste de sa famille ou de son entreprise est lamentable, d’autant qu’il avait déjà fait l’objet d’articles et de livres. Mais les conséquences sont moins dramatiques. Autre réflexion : ce type de procédé se retrouve-t-il dans le monde scientifique ? Incontestablement surtout là où les enjeux financiers ou idéologiques sont importants (2). D’ou la nécessité pour le chercheur de révéler en toute transparence ses sources de financement.

(1) Jadis, on appelait la censure « Madame Anastasie ». Gardienne des « bonnes mœurs » ou de l’orthodoxie politique, elle s’emparait des manuscrits, des livres, des gravures ou des tableaux dans lesquels elle taillait sans aucune subtilité, à l’aide de ses grands ciseaux. Voir à ce sujet Emmanuel Pierrat, Le Livre noir de la censure, Paris : Le Seuil.

(2) Voir mon blog de mars 2011 « Inside Economics et Conflits d’Intérêt ».

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