vendredi 9 septembre 2011

Super riche et super contribuable

Pierre Pestieau

« On peut être super riche et se montrer super citoyen ! ». Voilà un des buzz (1) de cet été. En raison de la crise de la dette, des grands patrons veulent payer davantage d'impôts pour renflouer les caisses de l'Etat. Ce mouvement de générosité est parti de l'autre côté de l'Atlantique : c'est le milliardaire américain Warren Buffett qui a lancé le débat aux Etats-Unis en réclamant une hausse des impôts pour les « méga-riches » dans une tribune publiée le 14 août dans le New York Times (2). Que faut-il en penser ? Un effet d’annonce de quelques individualités qui se font ainsi mousser (3) sachant que la structure de leur patrimoine et l’ingénierie fiscale leur permet de payer moins d’impôts que la plupart des citoyens ? Ou y aurait-il une véritable volonté de contribuer davantage aux finances publiques ?

L’interprétation cynique de ce mouvement, somme toute marginal, est facile. Quand en France, Maurice Levy, un ami proche du président, celui du bouclier fiscal, en prend l’initiative, on ne peut qu’être dubitatif. Avec la double crise financière et budgétaire que nous traversons, les super riches ont de bonnes raisons de redresser leur image auprès de l’opinion publique. D’autant plus que leurs revenus et leur patrimoine n’ont pas cessé d’augmenter ces dernières décennies. Plus récemment encore, nous avons L'appel de très riches Français : Taxez-nous ! publié dans le Nouvel Observateur du 25 août cosigné par une série de personnages bien connus pour avoir tout fait pour minimiser leur imposition et qui soudain disent souhaiter « l’instauration d’une ‘contribution exceptionnelle’ qui toucherait les contribuables français les plus favorisés » (4).

Il existe cependant des raisons plus économiques pour que les riches recommandent un meilleur partage de la charge fiscale. J’en citerai quatre. La première sans doute plus prégnante aux Etats- Unis qu’en Europe est le désir qu’ont les riches de contribuer à des œuvres charitables diverses. En l’absence d’incitations fiscales, ces contributions tendent à être faibles. Si les riches ont une forte préférence pour ces œuvres, ils pourraient souhaiter une augmentation de la fiscalité des revenus et du patrimoine qui, en exonérant fiscalement les contributions charitables, les favorise. Cette considération s’applique à l’impôt sur les revenus et aux droits de succession (5).

Une deuxième raison qui concerne les droits de succession est méritocratique. Certains riches ne veulent pas que leurs enfants aient la vie trop facile ; il faut qu’ils fassent aussi leurs preuves et du coup un legs minimal doit suffire. L’essentiel du patrimoine est investi dans des fondations qui assureront la gloire posthume du père fondateur et n’aideront qu’indirectement ses héritiers. C’est le point de vue adopté récemment par Buffett et Gates et plus lointainement par Dale Carnegie.

Une troisième raison vient de la théorie de la taxation optimale qui tient compte de la mobilité du travail. On peut monter que la taxation optimale du point de vue des plus riches n’implique pas un taux nul pour les riches et un taux élevé pour les autres. Une telle politique inciterait ces autres contribuables à travailler beaucoup moins, voire à émigrer (6).

Revenant à une réflexion politique, il faut admettre que les super riches peuvent craindre que la part croissante de ressources qu’ils contrôlent peut à terme conduire à des désordres politiques dont ils seraient à terme les victimes.

Ce sont sans doute là des rationalisations. Pour l’essentiel, les riches ne sont pas mécontents de leur sort. Il est à parier qu’ils sont minoritaires ceux qui pensent qu’ils ont un devoir vis-à-vis de la collectivité qui leur permet de s’enrichir toujours plus (7). Et même les membres de cette minorité donnent plus l’impression de faire la charité que de vouloir vraiment participer au financement d’une société qui leur a tant apporté (8).

(1) Définition du petit Larousse : Buzz: n.m. (mot angl., bourdonnement). Forme de publicité dans laquelle le consommateur contribue à lancer un produit ou un service via des courriels, des blogs, des forums ou d’autres médias en ligne. – Par ext. Rumeur, retentissement médiatique, notamm. autour de ce qui est perçu comme étant à la pointe de la mode (événement, spectacle, personnalité, etc.). Le film a fait un énorme buzz.

(2) http://www.nytimes.com/2011/08/15/opinion/stop-coddling-the-super-rich.html?_r=1

(3) Ou s’assurent un petit « coin de paradis ».

(4) Même Etienne Davignon plus près de chez nous s’est invité à la table de ces super riches devenus soudain des super citoyens.

(5) Voir “Political support for estate taxation and charities” de G. Casamatta, H. Cremer et P. Pestieau, ronéo, 2011.

(6) Voir “Optimal income taxation and the ability distribution: implications for migration equilibria,” de
J. Hamilton et P. Pestieau, International Tax and Public Finance, 12, 29-46, 2005.

(7) Alors qu’aux Etats Unis, ce sont vraiment les super riches qui sont intervenus, en Europe et en France particulièrement on ne retrouve pas dans la liste des pétitionnaires les vrais riches. Par exemple, Maurice Levy ne représente que la 238ème fortune française. Le Canard Enchaîné parle ainsi des « faux riches qui s’achètent une image » (31-8-2011).

(8) « Nous sommes conscients d’avoir pleinement bénéficié d’un modèle français et d’un environnement européen auxquels nous sommes attachés et que nous souhaitons contribuer à préserver », estiment les signataires de l'appel publié par le Nouvel Observateur.

1 commentaire:

  1. Salut Pierre

    après le buzz du "please tax us", je propose le buzz des rentiers criant de concert "taxez nous". Car si il y a un vrai paradoxe c'est bien celui là. De tous temps libéraux et socialistes s'accordent à vouloir taxer les rentiers (Marx, Walras, Keynes, Allais, Pareto...) et pourtant les plus values, les rentes foncières, les rentiers sociaux, ...continuent depuis des siècles à échapper à l'impôt. Pourquoi?? Taxons tous ces revenus non-gagnés?

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