vendredi 16 septembre 2011

Calcul à la marge

Victor Ginsburgh

Je me demandais depuis longtemps ce que voulait dire « taux marginal de taxation ». Dans le cours d’économie politique que j’avais subi lors de ma jeunesse folle dans une grande école de commerce bruxelloise, il m’avait été longuement expliqué que la meilleure façon de comprendre la théorie marginale, était aussi de comprendre que l’utilité marginale du verre d’eau supplémentaire dans un désert était supérieure à celle du même verre d’eau à Bruxelles durant le mois de juillet où il n’a pas cessé de pleuvoir. Mais ça c’était un peu trop compliqué pour le simple ingénieur commercial que j’allais devenir quelques années après.

Cinquante ans plus tard. Je viens de le comprendre en consultant (dans ma baignoire) ma fiche de pension qui compare la situation de juillet 2011 à celle du mois précédent. J’ai en effet bénéficié d’une augmentation brute de 59 centimes d’euro, ce qui, vous le reconnaîtrez, est très marginal et me permet donc de procéder, enfin, à un vrai calcul « à la marge ». Voici donc les détails obtenus après calcul des différences entre juin et juillet :

Augmentation brute : 59 centimes

Retenue sécurité sociale : 2 centimes

Retenue indemnité funéraire : 1 centime

Retenue de solidarité : 1 centime

Précompte professionnel (impôt): 20 centimes

Total prélèvements et retenues : 25 centimes.

S’il n’y avait rien d’autre à ajouter ou à soustraire, ceci conduirait à un taux marginal de taxation de 25/59 = 0,42 soit 42%. Quand mon revenu augment d’un euro, je paie 42 cents à l’Etat. Mais il me faut encore soustraire :

(a) 9% sur l’impôt lui-même pour satisfaire les appétits de l’agglomération bruxelloise, de la commune et de l’impasse dans laquelle j’habite, soit 0,09x21 = 2 centimes, et

(b) 17+5+2 = 24 euros parce que, dans une autre administration, quelqu’un a décidé, en juillet, que ma carte d’identité était périmée, et qu’il m’en fallait une nouvelle, encore plus belle que la précédente. La preuve de la beauté, c’est que j’ai du refaire des photos parce que celles de l’année précédente n’étaient pas suffisamment bonnes (5 euros) et que j’ai payé 2 euros pour le parking dans la commune particulièrement efficace dans laquelle j’ai le grand bonheur de vivre.

Le total des prélèvements s’élève maintenant à 25 + 2 + 2400 = 2427 centimes, ce qui conduit à un taux marginal de taxation 2427/59 = 41,13 et signifie que pour chaque euro supplémentaire de revenu brut perçu en juillet, je dois payer 41,13 euros à l’Etat (1).

Ce n’est pas donné, et risque d’empirer avec l’augmentation générale des impôts qui ne tardera guère et qui devrait permettre de renflouer les banques qui ont acheté trop d’emprunts (grecs, italiens, portugais, espagnols, belges, français, monégasques, « vaticanesques », et même américains aux dernières nouvelles), et de rémunérer les agences de notation pour le travail considérable auquel elles se livrent et leur façon exemplaire de prévoir ce qu’elles font arriver.

***

Ante mortem post scriptum. Je suis sûr que vous m’avez lu trop vite et avez omis de vous demander en quoi consistait la « Retenue indemnité funéraire ». Renseignements pris, il ne s’agit pas de constituer un « fonds de pension » pour organiser mes propres funérailles, mais bien celles de ceux (et de celles) qui ne peuvent pas se les payer. Ouf, ça m’avait fait peur quand même.

(1) Pour simplifier les calculs, j’omets le manque à gagner du temps passé à me présenter deux fois à la maison communale, une fois pour déposer ma vieille carte d’identité, et une deuxième fois pour aller chercher la nouvelle. D’autant plus que je viens de recevoir le document me permettant d’aller la chercher, qui contient des menaces de « frais supplémentaires » si je ne le fais pas assez vite. Plus les frais d’essence et la pollution engendrée par ces déplacements.

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