vendredi 30 septembre 2011

La chasse aux mythes. Premier épisode : Israël

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Victor Ginsburgh

A l’issue des discours d’Obama contre, d’Abbas pour, et de Netanyahou contre la demande palestinienne d’être reconnue comme Etat par les Nations Unies, je suis allé revoir ce que dit Simha Flapan (1) sur la naissance d’Israël. Flapan est un de ceux que l’on a appelés les « nouveaux historiens » israéliens dont font aussi partie Benny Morris (qui s’est rétracté par la suite et a regretté qu’Israël n’ait pas expulsé davantage de Palestiniens en 1947-48), Tom Segev, Ilan Pappé (2) et Avi Shlaïm. A la fin de années 1980, ils ont publié les résultats de leurs recherches sur la naissance de l’Etat d’Israël à la lumière de documents officiels britanniques et israéliens dont l’accès avait été rendu public (3).

Une première observation, qui n’est pas un mythe. Le texte de 1947 relatif au partage de la Palestine (55% aux Juifs, qui sont la minorité, et 45% aux Arabes) passe par l’Assemblée Générale des Nations Unies et pas par le Conseil de Sécurité ; il doit y recueillir 2/3 des voix, mais le résultat est incertain et donne semble-t-il lieu à des menaces, à des pressions et même à un peu de corruption. En septembre 2011, les Etats-Unis exercent des pressions sur les Palestiniens en les menaçant de leur couper l’aide s’ils persistent à déposer le texte de leur demande de reconnaissance. Ces mêmes Etats-Unis avaient menacé menacé de couper l’aide à la Grèce, si elle votait contre le plan de partage. La Grèce ne s’est pas laissée faire, pas plus que Mahmoud Abbas d’ailleurs. Et le 14 mai 1948, Ben Gourion a proclamé l’indépendance de l’Etat d’Israël (qui à l’époque ne demandait pas encore que l’Etat soit Juif) sans demander l’avis de personne.

J’en arrive maintenant à la liste des sept (un nombre sacré) mythes propagés par Israël et que Flapan s’attache à démonter. Je traduis en Français les pages 8-10 de son ouvrage, en espérant que les erreurs de traduction n’auront pas les mêmes effets que ceux de la Résolution 242 des Nations Unies demandant aux Israéliens de se retirer « des territoires » (tous affirment les uns, certains disent les autres) (4) occupés après leur victoire dans la guerre des Six Jours de 1967. Voici ce texte.

« Mythe 1. L’acceptation par les sionistes de la résolution de partition du 29 novembre 1947 a été un compromis important par lequel la communauté juive abandonnait le concept d’Etat Juif dans l’ensemble de la Palestine et reconnaissait le droit qu’ont les Palestiniens pour leur propre Etat. Israël accepte ce sacrifice parce que les Juifs ont supposé que l’exécution de la résolution se ferait dans la paix et en coopération avec le Palestiniens.

Réfutation. Mes recherches suggèrent qu’il s’agissait en fait d’un mouvement tactique au sein d’une stratégie globale. La stratégie consistait (a) à contrecarrer la création d’un Etat Palestinien en signant un accord secret avec Abdallah de Transjordanie, qui allait annexer le territoire destiné à devenir l’Etat Palestinien comme premier pas vers une ‘Grande Syrie’ et (b) à accroître le territoire accordé par les Nations Unies à l’Etat Juif. »


« Mythe 2. Les Arabes Palestiniens ont totalement rejeté la partition et répondu à l’appel du mufti de Jérusalem pour déclencher une guerre contre les Juifs, qui les forcerait à se satisfaire d’une solution militaire.

Réfutation. Ceci n’est pas toute l’histoire. Alors que le mufti était en effet un fanatique qui s’opposait à la partition, la majorité des Palestiniens arabes, tout en y étant aussi opposés, n’ont pas répondu à l’appel à la guerre sainte contre Israël. Au contraire, et ce jusqu’à la déclaration d’indépendance d’Israël qui allait venir le 14 mai 1948, nombreux étaient les dirigeants et les groupes palestiniens qui ont fait des efforts pour atteindre un modus vivendi. C’est uniquement la profonde opposition de Ben-Gourion à la création d’un Etat Palestinien qui a miné la réticence palestinienne à l’appel du mufti. »


« Mythe 3. L’exode des Palestiniens de leurs terres, aussi bien avant la déclaration d’indépendance d’Israël qu’après celle-ci, provient de la réponse à un appel des dirigeants arabes de quitter temporairement leurs terres, et d’y revenir après la victoire des armées arabes. Les Palestiniens ont quitté leurs terres malgré les efforts faits par les dirigeants juifs pour les persuader de rester.

Réfutation. En fait, l’exode a été provoqué par les dirigeants politiques et militaires israéliens, qui pensaient que la colonisation sioniste et l’indépendance d’Israël rendaient nécessaire le ‘transfert’ des Palestiniens arabes vers les pays arabes. »


« Mythe 4. Tous les pays arabes, unis dans leur détermination de détruire le nouvel Etat Juif, se sont résolus à envahir la Palestine pour en expulser les juifs.

Réfutation. Ma recherche suggère que le but des Etats arabes n’était pas de liquider le nouvel Etat, mais d’empêcher exécution de l’accord entre le gouvernement provisoire juif et Abdallah et son plan pour une ‘Grande Syrie’. »


« Mythe 5. L’invasion arabe de la Palestine le 15 mai 1948 [à la suite de la déclaration d’indépendance d’Israël], en contravention avec la résolution de partition des Nations Unies, a rendu inévitable la guerre de 1948.

Réfutation. Les documents montrent que cette guerre n’était pas inévitable. Les Arabes avaient accepté une proposition américaine de dernière minute d’une trêve de trois mois, à condition qu’Israël reporte temporairement sa déclaration d’indépendance. Le gouvernement provisoire a rejeté la proposition par une majorité de 6 voix contre 4. »


« Mythe 6. Le petit Etat nouveau-né a du faire face à l’assaut des armées arabes, comme David a fait face à Goliath : une armée inférieure en nombre, des hommes pauvrement armés et en danger d’être vaincus par un géant militaire.

Réfutation. Les faits et statistiques disponibles font état d’une situation bien différente. Ben-Gourion lui même a admis que la guerre où Israël était seul n’a duré que quatre semaines, jusqu’à la trêve du 11 juin, à la suite de laquelle des quantités importantes d’armes sont arrivées dans le pays. L’armée israélienne mieux entrainée et plus expérimentée a par la suite eu la maîtrise des terres, de la mer et des airs. »


« Mythe 7. La main d’Israël a toujours été tendue en signe de paix, mais comme aucun dirigeant arabe n’a jamais reconnu le droit à Israël d’exister, les Israéliens n’ont jamais eu en face d’eux quelqu’un avec qui parler.

Réfutation. Au contraire, depuis le fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1952, Israël a refusé plusieurs propositions faites par les pays arabes et des médiateurs neutres qui auraient pu aboutir à des accommodements. »

***

Soixante-quatre ans après la partition, il n’y a pas grand chose de nouveau sous le soleil. Les Israéliens continuent à dire qu’ils n’ont en face d’eux personne avec qui parler. Même leur vocabulaire est resté identique.

Les pays arabes continuent à « cultiver » les réfugiés palestiniens dans les camps.

(1) Simha Flapan, The Birth of Israel. Myths and Realities, New York : Pantheon Books, 1987. Né en Pologne en 1911, a émigré vers Israël en 1930. Entre 1954 et 1981, il a été Secrétaire National du Mapam (Parti Unifié des Ouvriers). Il est mort à Tel Aviv en 1987.

(2) Ilan Pappé, La guerre de 1948 en Palestine, Paris : La Fabrique, 2000. Voir aussi son Ethnic Cleansing of Palestine, London : Oneworld, 2006. Né en 1954 à Haïfa, il a été professeur de science politique à l’Université de Haïfa, position qu’il a quittée en 2007, suite aux harcèlements dont il a été l’objet. Il est maintenant professeur à l’Université d’Exeter, au Royaume-Uni.

(3) J’aurais aussi pu relire Ilan Pappé qui est plus connu et plus médiatisé que Flapan. Il se fait que dans ma bibliothèque, le non-classement est à peu près alphabétique mais que Flapan vient quand même avant Pappé.

(4) Le « des territoires » français, contraction de « de » et de « les » est traduit de l’anglais « from territories », qui ne rend en effet pas clair s’il s’agit de tous les territoires ou de certains, puisqu’en anglais (ou en russe, une des autres langues officielles des Nations Unies à l’époque) il ne faut pas d’article dans cette partie de phrase.

Le monde est bien fait

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Pierre Pestieau

Imaginons un monde où le grand architecte aurait décide de faire vivre les pauvres plus longtemps que les riches, croyant ainsi introduire une légère touche d’équité dans son grand œuvre. De ce fait, on trouverait beaucoup moins de riches dans les classes d’âge avancé. Le taux de pauvreté y serait encore plus élevé que ce qu’il est aujourd’hui. Les riches vivant des vies extrêmement courtes lègueraient leur patrimoine à leurs enfants à un rythme plus soutenu qu’aujourd’hui donnant lieu à une concentration de la richesse plus élevée encore que ce que l’on observe. On pourrait déduire de ce petit raisonnement que le monde est bien fait avec des pauvres qui ont une vie courte et des riches qui ont une vie longue. Cela nous donne une société où somme toute il n’y a pas beaucoup de pauvres dans les classes d’âge avancé, ce qui aurait été choquant.

Dans une étude récente, nous avons essayé de voir quel serait en Belgique le taux de pauvreté des personnes âgées si elles avaient toutes la même longévité (1). Il serait plus élevé. Dans un pays comme le notre les riches vivent plus longtemps que les pauvres, les femmes plus longtemps que les hommes et les Flamands plus longtemps que les Wallons. Un homme wallon et pauvre a une longévité nettement plus faible qu’une femme flamande et riche.

Les conséquences de ces différences sur la pauvreté dans le troisième âge ne sont pas négligeables. Sans ces différences, le taux de pauvreté en Wallonie serait plus élevé et le taux de pauvreté des femmes dans les deux régions serait plus faible. Sur ce seul plan (il en existe heureusement d’autres), la Wallonie paraît moins pauvre qu’elle ne serait sans ces différences de longévité. Autre avantage de cette faible longévité pour les Wallons, moins de pensions à financer. Le monde est décidément bien fait.

(1) Lefebvre, M., P. Pestieau et G. Ponthière, Pauvreté et mortalité différentielle chez les personnes âgées, CREPP WP-2011/09 http://www2.ulg.ac.be/crepp/papers/crepp-wp201109.pdf

samedi 24 septembre 2011

Trois écarts

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Pierre Pestieau

Ces derniers mois, mon attention a été attirée par trois types de délinquance scientifique dans le microcosme des économistes. Elles concernent des collègues dont on taira les noms. La première est tout bêtement le plagiat. On pique un article d’un auteur peu connu dans une revue peu connue et on le publie sous son nom en gardant jusqu’aux fautes de frappe de l’original. La deuxième consiste à publier simultanément le même article dans quatre revues scientifiques. La troisième est plus subtile; il s’agit de la publication d’informations sans fondement scientifique, et qui ne peuvent être infirmées puisqu’elles mesurent des phénomènes non mesurables. Mon exemple favori est celui qui porte sur des indicateurs de l’économie souterraine (travail au noir, fraude, activités criminelles) pour plus d’une centaine de pays et les deux dernières décennies.

Ces trois types de délinquance ne sont pas les seuls possibles. On peut aussi citer des recherches qui, poursuivant un objectif idéologique précis, s’appuient sur une manipulation des données. La plus célèbre ne ressort pas du champ de l’économie mais plutôt de la psychologie ; c’est l’étude de Cyril Burt (1) publiée dans les années 1960 qui, pour prouver que l’essentiel de l’intelligence est héritée et non acquise, utilise un échantillon de jumeaux vrais et faux dûment trafiqué. Le résultat était destiné à justifier la réduction de dépenses sociales visant à égaliser les chances de chacun, dépenses évidemment inutiles, si l’intelligence est innée.

Mais revenons à nos trois délinquances. Peut-on les comparer comme on pourrait comparer la peste, le choléra et la lèpre ? Du point de vue légal, le plagiat est sans doute le plus condamnable. La publication multiple du même article peut entraîner des problèmes de réputation dans la profession, sans plus. Quant aux données sur l’économie souterraine, elles sont utilisées par les politiciens, les journalistes et les collègues pour étayer leur discussion des phénomènes de fraude et de travail au noir. Que leur fondement scientifique soit discutable pour ne pas dire nul ne semble pas troubler leurs utilisateurs. Cette délinquance n’a certainement rien d’illégal. Mais selon moi elle est scientifiquement la plus dommageable.

Dans le cas du plagiat et de la publication multiple, les articles en cause étaient relativement bons. Ils avaient d’ailleurs subi l’épreuve de l’arbitrage anonyme. Arbitrage qui n’est certes pas parfait mais on ne peut pas blâmer un referee d’ignorer que le même article a été soumis ailleurs ou qu’il a été publié dans une revue mineure. Dans le cas d’indicateurs sans fondement, qui de surcroît sont largement utilisés, ils peuvent conduire à des conclusions scientifiques ou à des recommandations politiques erronées. Le producteur de ces indicateurs n'est pas le seul à blâmer. Les utilisateurs le sont aussi car ils ne peuvent ignorer que des mesures de ce qui n’est pas mesurable posent problème (2).

(1) A ce sujet voir A. Jacquard http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1978_num_5_2_1914

(2) Dans un domaine connexe, celui des faussaires et des imposteurs, j’aimerais citer deux ouvrages. Le premier est tout récent. Il s’agit de Pascal Boniface, Les Intellectuels faussaires : le triomphe médiatique des experts en mensonges, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2011. Le second est plus ancien : Il s’agit des Impostures intellectuelles d'Alan Sokal et Jean Bricmont publié en 1997 chez Odile Jacob. Boniface essentiellement reproche à certains intellectuels français de sciemment mentir pour défendre la cause de la politique israélienne soutenue par les Etats-Unis. Sokal et Bricmont font une critique assez dure des auteurs regroupés sous le nom de philosophes postmodernes, qui utilisent erronément ou inutilement les concepts ou le vocabulaire des mathématiques ou de la physique.

Google détruit notre mémoire. Dommage ou pas ?

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Victor Ginsburgh

Nous n’arrêtons pas de nous précipiter sur Google lorsqu’un mot, le nom d’un auteur, d’un film, d’un musicien, d’un historien nous échappe. Sans faire l’effort d’essayer de nous les remémorer, parce qu’il y a tellement d’autres choix. Est-ce grave, Docteur ?

Betsy Sparrow, professeur de psychologie à l’Université Columbia et ses collègues viennent de publier dans Science un article portant sur des résultats d’expériences qu’ils ont menées (1).

Ces expériences avaient pour but de voir si nous préférions « stocker » une information dans un quelconque tiroir plutôt que de la garder en mémoire. La plus saisissante de celles-ci a consisté à présenter aux sujets 40 énoncés (du type « L’œil d’une autruche est plus grand que son cerveau ») à propos desquels ils pouvaient prendre des notes sur leur ordinateur. La moitié des sujets avaient été avertis qu’ils pourraient retrouver cette information, l’autre moitié, que cette information serait perdue. Dans un deuxième temps, les sujets étaient priés de se rappeler les énoncés et de les noter, sans l’aide de leur ordinateur. Les sujets auxquels on avait dit que leur ordinateur effacerait leurs notes ont reproduit les énoncés bien plus souvent et mieux que les autres, qui pensaient pouvoir les retrouver sur l’ordinateur et n’avaient par conséquent pas pris la peine de les retenir.

Une autre expérience montre que les sujets se rappellent mieux des fichiers (ou endroits) dans lesquels ils ont stocké l’information que de l’information elle-même.

Ces constatations ne sont pas vraiment surprenantes. Pourquoi, en effet, retenir l’information, si on sait qu’il est possible de la retrouver… à condition de se rappeler où elle a été stockée. L’ordinateur est très efficace dans son rôle de mémoire externe et il faut reconnaître que chercher dans une encyclopédie, un ouvrage dont on a oublié le titre et dont on ne se rappelle qu’approximativement le nom de l’auteur n’est pas tout à fait évident. Google vous fait cela en deux ou trois clics. Mais faut-il pour cela ne plus exercer notre propre mémoire et ne plus faire appel à elle ?

Sparrow conclut que la mémoire humaine s’adapte à une nouvelle technologie de communication. Pourquoi savoir par cœur, comme les plus vieux d’entre nous s’y sont essayés, des fables de La Fontaine ou du Victor Hugo, alors que le téléphone portable, pour peu qu’il soit un rien « smart », nous le restitue.

Après avoir oublié comment écrire, même mal, parce que le clavier a pris la place de la main, on peut maintenant oublier qu’il y a un risque d’oublier.

« J’ai gardé, dit Jean-Claude Carrière, le souvenir d’un homme qui avait une mémoire extraordinaire. Mais j’ai oublié ce qu’il savait. Je ne me souviens donc que de l’oubli » (2).

(1) Betsy Sparrow, Jenny Liu, and Daniel M. Wegner, Google Effects on Memory: Cognitive consequences of having information at our fingertips, Science Express www.sciencexpress.org / 14 July 2011.

(2) Voir Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, Paris: Grasset, 2009, p. 47.

vendredi 16 septembre 2011

Calcul à la marge

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Victor Ginsburgh

Je me demandais depuis longtemps ce que voulait dire « taux marginal de taxation ». Dans le cours d’économie politique que j’avais subi lors de ma jeunesse folle dans une grande école de commerce bruxelloise, il m’avait été longuement expliqué que la meilleure façon de comprendre la théorie marginale, était aussi de comprendre que l’utilité marginale du verre d’eau supplémentaire dans un désert était supérieure à celle du même verre d’eau à Bruxelles durant le mois de juillet où il n’a pas cessé de pleuvoir. Mais ça c’était un peu trop compliqué pour le simple ingénieur commercial que j’allais devenir quelques années après.

Cinquante ans plus tard. Je viens de le comprendre en consultant (dans ma baignoire) ma fiche de pension qui compare la situation de juillet 2011 à celle du mois précédent. J’ai en effet bénéficié d’une augmentation brute de 59 centimes d’euro, ce qui, vous le reconnaîtrez, est très marginal et me permet donc de procéder, enfin, à un vrai calcul « à la marge ». Voici donc les détails obtenus après calcul des différences entre juin et juillet :

Augmentation brute : 59 centimes

Retenue sécurité sociale : 2 centimes

Retenue indemnité funéraire : 1 centime

Retenue de solidarité : 1 centime

Précompte professionnel (impôt): 20 centimes

Total prélèvements et retenues : 25 centimes.

S’il n’y avait rien d’autre à ajouter ou à soustraire, ceci conduirait à un taux marginal de taxation de 25/59 = 0,42 soit 42%. Quand mon revenu augment d’un euro, je paie 42 cents à l’Etat. Mais il me faut encore soustraire :

(a) 9% sur l’impôt lui-même pour satisfaire les appétits de l’agglomération bruxelloise, de la commune et de l’impasse dans laquelle j’habite, soit 0,09x21 = 2 centimes, et

(b) 17+5+2 = 24 euros parce que, dans une autre administration, quelqu’un a décidé, en juillet, que ma carte d’identité était périmée, et qu’il m’en fallait une nouvelle, encore plus belle que la précédente. La preuve de la beauté, c’est que j’ai du refaire des photos parce que celles de l’année précédente n’étaient pas suffisamment bonnes (5 euros) et que j’ai payé 2 euros pour le parking dans la commune particulièrement efficace dans laquelle j’ai le grand bonheur de vivre.

Le total des prélèvements s’élève maintenant à 25 + 2 + 2400 = 2427 centimes, ce qui conduit à un taux marginal de taxation 2427/59 = 41,13 et signifie que pour chaque euro supplémentaire de revenu brut perçu en juillet, je dois payer 41,13 euros à l’Etat (1).

Ce n’est pas donné, et risque d’empirer avec l’augmentation générale des impôts qui ne tardera guère et qui devrait permettre de renflouer les banques qui ont acheté trop d’emprunts (grecs, italiens, portugais, espagnols, belges, français, monégasques, « vaticanesques », et même américains aux dernières nouvelles), et de rémunérer les agences de notation pour le travail considérable auquel elles se livrent et leur façon exemplaire de prévoir ce qu’elles font arriver.

***

Ante mortem post scriptum. Je suis sûr que vous m’avez lu trop vite et avez omis de vous demander en quoi consistait la « Retenue indemnité funéraire ». Renseignements pris, il ne s’agit pas de constituer un « fonds de pension » pour organiser mes propres funérailles, mais bien celles de ceux (et de celles) qui ne peuvent pas se les payer. Ouf, ça m’avait fait peur quand même.

(1) Pour simplifier les calculs, j’omets le manque à gagner du temps passé à me présenter deux fois à la maison communale, une fois pour déposer ma vieille carte d’identité, et une deuxième fois pour aller chercher la nouvelle. D’autant plus que je viens de recevoir le document me permettant d’aller la chercher, qui contient des menaces de « frais supplémentaires » si je ne le fais pas assez vite. Plus les frais d’essence et la pollution engendrée par ces déplacements.

Niche, oh ma niche (1)

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Pierre Pestieau

« Il faut demander plus à l’impôt et moins au contribuable ». Cette remarquable maxime est d’Allais, l’humoriste et non pas l’économiste, Prix Nobel 1988. Le premier se prénommait Alphonse et le second Maurice. La maxime résume l’esprit qui devrait animer toute bonne réforme fiscale. Au cours de ces dernières années, les Français ont redécouvert deux idées qui sont aussi vieilles que les Finances publiques : la nécessité d’utiliser l’argent public le plus efficacement possible et l’urgence de réduire les niches fiscales. Paradoxalement tout en redécouvrant ces deux idées ils continuaient de créer de nouvelles niches fiscale et de ne pas utiliser l’argent des contribuables avec parcimonie.

Un des grands principes des finances publiques est que l’impôt doit être équitable horizontalement et verticalement. La première équité implique que des personnes ayant les mêmes ressources et les mêmes besoins contribuent également aux finances publiques. Au nom de l’équité verticale, celui qui a plus doit contribuer davantage. La multiplication des niches fiscales, que les économistes appellent « dépenses fiscales » parce qu’elles coûtent au Trésor public autant que les dépenses traditionnelles, compromet ces deux sortes d’équité. En effet, elles favorisent certains types de revenus, de dépenses ou d’épargne, ce qui veut dire qu’elles avantagent certains contribuables au détriment d’autres qui de ce fait voient la pression fiscale augmenter. Car là est le problème. La multiplication des niches fiscales a pour effet de réduire la base de l’impôt et comme les besoins de l’Etat vont rarement en diminuant, cela implique une hausse des taux d’imposition pour ceux qui ne bénéficient pas de cette manne fiscale, le plus souvent ressentie comme arbitraire.

Ces derniers mois le gouvernement français a donné l’impression de s’attaquer sérieusement à ces niches fiscales avec l’espoir de combler une partie de ses déficits. Il était aidé en cela par un rapport officiel qui montrait qu’une partie des niches étaient inefficaces : elles ne remplissaient pas les objectifs pour lesquelles elles avaient étaient conçues. Un exemple de niche souvent cité qui se retrouve en Belgique est celui des « chèques services » censés réduire l’informalité dans le travail domestique et qui en définitive auraient pour seul effet d’aider les classes aisées.

Avant même que la liste des niches qui allaient être supprimées ou amendées ne soit arrêtée, qu’il s’agisse des plus-values immobilières, de la TVA sur les parcs à thème, de la taxe sur les sodas, on a vu se déchaîner de puissants lobbys, relayés par des élus au sein même de la majorité, contraignant le gouvernement à revoir sa copie. Paradoxalement, c'est la mesure qui devait rapporter le moins, la hausse de la TVA sur les billets d'entrée dans les parcs à thèmes qui a provoqué le plus grand désordre au sein de la majorité. L’ancien premier ministre
Jean-Pierre Raffarin, sénateur du département du Futuroscope a ainsi obtenu l'abandon définitif de cette hausse de TVA. A l’occasion de cette passe d’armes, on s’est aperçu que les niches étaient nombreuses et que leur solidité n’avait rien à voir avec leur coût ou leur efficacité mais avec la puissance du lobby qui se cache derrière chacune d’elle. Cette constatation est plutôt déprimante. Elle conduit à une simple conclusion : il faut supprimer toutes les niches. Cela demandera du courage car si on fait le compte, la plupart d’entre nous avons une niche sous laquelle nous abriter. Le plus souvent ce sont de très petites niches. Mais pour sauvegarder sa petite niche on fait le jeu de ceux qui jouissent de niches pharaoniques. En supprimant toutes les niches, on rend le système fiscal plus transparent et plus efficace. Et si vraiment telle catégorie de citoyens doit être aidée, faisons le ouvertement.

(1) Les anciens ont reconnu le clin d’oeil à une chanson presque quinquagénaire interprétée en français par Frank (et non pas Fort) Alamo et qui en anglais porte le nom évocateur de « Sweets for my sweety ».

vendredi 9 septembre 2011

Super riche et super contribuable

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Pierre Pestieau

« On peut être super riche et se montrer super citoyen ! ». Voilà un des buzz (1) de cet été. En raison de la crise de la dette, des grands patrons veulent payer davantage d'impôts pour renflouer les caisses de l'Etat. Ce mouvement de générosité est parti de l'autre côté de l'Atlantique : c'est le milliardaire américain Warren Buffett qui a lancé le débat aux Etats-Unis en réclamant une hausse des impôts pour les « méga-riches » dans une tribune publiée le 14 août dans le New York Times (2). Que faut-il en penser ? Un effet d’annonce de quelques individualités qui se font ainsi mousser (3) sachant que la structure de leur patrimoine et l’ingénierie fiscale leur permet de payer moins d’impôts que la plupart des citoyens ? Ou y aurait-il une véritable volonté de contribuer davantage aux finances publiques ?

L’interprétation cynique de ce mouvement, somme toute marginal, est facile. Quand en France, Maurice Levy, un ami proche du président, celui du bouclier fiscal, en prend l’initiative, on ne peut qu’être dubitatif. Avec la double crise financière et budgétaire que nous traversons, les super riches ont de bonnes raisons de redresser leur image auprès de l’opinion publique. D’autant plus que leurs revenus et leur patrimoine n’ont pas cessé d’augmenter ces dernières décennies. Plus récemment encore, nous avons L'appel de très riches Français : Taxez-nous ! publié dans le Nouvel Observateur du 25 août cosigné par une série de personnages bien connus pour avoir tout fait pour minimiser leur imposition et qui soudain disent souhaiter « l’instauration d’une ‘contribution exceptionnelle’ qui toucherait les contribuables français les plus favorisés » (4).

Il existe cependant des raisons plus économiques pour que les riches recommandent un meilleur partage de la charge fiscale. J’en citerai quatre. La première sans doute plus prégnante aux Etats- Unis qu’en Europe est le désir qu’ont les riches de contribuer à des œuvres charitables diverses. En l’absence d’incitations fiscales, ces contributions tendent à être faibles. Si les riches ont une forte préférence pour ces œuvres, ils pourraient souhaiter une augmentation de la fiscalité des revenus et du patrimoine qui, en exonérant fiscalement les contributions charitables, les favorise. Cette considération s’applique à l’impôt sur les revenus et aux droits de succession (5).

Une deuxième raison qui concerne les droits de succession est méritocratique. Certains riches ne veulent pas que leurs enfants aient la vie trop facile ; il faut qu’ils fassent aussi leurs preuves et du coup un legs minimal doit suffire. L’essentiel du patrimoine est investi dans des fondations qui assureront la gloire posthume du père fondateur et n’aideront qu’indirectement ses héritiers. C’est le point de vue adopté récemment par Buffett et Gates et plus lointainement par Dale Carnegie.

Une troisième raison vient de la théorie de la taxation optimale qui tient compte de la mobilité du travail. On peut monter que la taxation optimale du point de vue des plus riches n’implique pas un taux nul pour les riches et un taux élevé pour les autres. Une telle politique inciterait ces autres contribuables à travailler beaucoup moins, voire à émigrer (6).

Revenant à une réflexion politique, il faut admettre que les super riches peuvent craindre que la part croissante de ressources qu’ils contrôlent peut à terme conduire à des désordres politiques dont ils seraient à terme les victimes.

Ce sont sans doute là des rationalisations. Pour l’essentiel, les riches ne sont pas mécontents de leur sort. Il est à parier qu’ils sont minoritaires ceux qui pensent qu’ils ont un devoir vis-à-vis de la collectivité qui leur permet de s’enrichir toujours plus (7). Et même les membres de cette minorité donnent plus l’impression de faire la charité que de vouloir vraiment participer au financement d’une société qui leur a tant apporté (8).

(1) Définition du petit Larousse : Buzz: n.m. (mot angl., bourdonnement). Forme de publicité dans laquelle le consommateur contribue à lancer un produit ou un service via des courriels, des blogs, des forums ou d’autres médias en ligne. – Par ext. Rumeur, retentissement médiatique, notamm. autour de ce qui est perçu comme étant à la pointe de la mode (événement, spectacle, personnalité, etc.). Le film a fait un énorme buzz.

(2) http://www.nytimes.com/2011/08/15/opinion/stop-coddling-the-super-rich.html?_r=1

(3) Ou s’assurent un petit « coin de paradis ».

(4) Même Etienne Davignon plus près de chez nous s’est invité à la table de ces super riches devenus soudain des super citoyens.

(5) Voir “Political support for estate taxation and charities” de G. Casamatta, H. Cremer et P. Pestieau, ronéo, 2011.

(6) Voir “Optimal income taxation and the ability distribution: implications for migration equilibria,” de
J. Hamilton et P. Pestieau, International Tax and Public Finance, 12, 29-46, 2005.

(7) Alors qu’aux Etats Unis, ce sont vraiment les super riches qui sont intervenus, en Europe et en France particulièrement on ne retrouve pas dans la liste des pétitionnaires les vrais riches. Par exemple, Maurice Levy ne représente que la 238ème fortune française. Le Canard Enchaîné parle ainsi des « faux riches qui s’achètent une image » (31-8-2011).

(8) « Nous sommes conscients d’avoir pleinement bénéficié d’un modèle français et d’un environnement européen auxquels nous sommes attachés et que nous souhaitons contribuer à préserver », estiment les signataires de l'appel publié par le Nouvel Observateur.

Même les poissons peuvent être honteux

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Victor Ginsburgh

Il n’y a rien d’inconvenant de se montrer de temps à autre honteux ou gêné. Comme on le verra un peu plus bas, même certains poissons de la Mer Rouge peuvent l’être. Ce n’est donc pas uniquement une caractéristique du genre humain.

Les réflexions qui suivent sont largement inspirées par un article de Jennifer Jacquet que je viens de lire et qui a pour titre « La honte est-elle nécessaire ? » (1). A quoi sert la honte, se demande l’auteur, qui précise qu’il n’y a pas que les banquiers qui doivent se poser la question. Dans tous les dilemmes sociaux, il y a une tension entre les individus et les groupes d’intérêt, mais il y a aussi un niveau élevé de coopération. Pour atteindre ce niveau, il a fallu qu’apparaissent chez les êtres vivants des traits tels que la honte, qui s’installe chez un individu du groupe lorsqu’il arrête de coopérer.

Les animaux utilisent l’observation visuelle pour décider s’ils collaborent avec le groupe. Les poissons des récifs coralliens de la Mer Rouge observent certains poissons « nettoyeurs » (Labroides dimidiatus) qui les débarrassent des tissus infectés ou morts (2). Certains d’entre eux vont cependant un peu plus loin et s’aventurent à manger du tissu sain aussi. Les autres poissons les observent, et s’ils s’aperçoivent du manège, ils punissent les nettoyeurs trop rapaces en cessant de coopérer avec eux, mais se laissent faire par ceux qui sont restés honnêtes. Ce qui finit par ramener les malhonnêtes à coopérer, sans quoi ils risquent de mourir de faim.

Le fait d’observer les autres et le sentiment d’être observé amène le malhonnête à se sentir honteux et le rend plus coopératif, même chez les poissons. Qui d’entre-nous oserait ne pas mettre les 20 centimes dans la boîte prévue à cet effet, lorsqu’il « achète » en libre-service son café dans la cafétéria du bureau. Toujours ? Non, mais certainement s’il se sent observé. Et peut-être finira-t-il par le faire même lorsqu’il n’est pas observé de peur de l’être ou de honte parce qu’il s’est déjà fait prendre.

Les super riches dont parle Pierre Pestieau dans la contribution qui précède se sentent-ils observés, comme les labroides ou les voleurs de café, surtout en ces temps de crise ? Ce qui les pousse peut-être à se sentir honteux, comme ces rares banquiers qui ont accepté de voir réduire leur pécule de vacances après la crise de 2008 ? Ou sont-ils, comme le suggère Pierre, calculateurs ?

Laissons quand même le bénéfice du doute aux quelques américains comme Warren Buffet, français (Maurice Levy), italiens (Ferrari), belges (Davignon) et allemands (un certain M. Lehmkuhl, docteur en médecine retraité et pas très riche, dont le premier manifeste sur la question date d’il y a deux ans (2)).

Acceptons qu’ils aient pu devenir honteux. Et espérons qu’ils parviennent à faire monter le rouge de la honte au front des autres riches.

(1) Jennifer Jacquet, Is shame necessary ? dans Max Brockman, ed., Future Science, Essays From the Cutting Edge, New York : Vintage Books, 2011.

(2) Ce comportement existe aussi dans le monde des mammifères : certains oiseaux, comme les pique-bœufs, se nourrissent de la vermine qui s’installe sur les corps des herbivores, mais peuvent aussi les blesser et se nourrir de petits morceaux de viande. Comme nous d’ailleurs.

(2) Voir The Guardian, 30 August 2011, p. 3.

vendredi 2 septembre 2011

On nous promet une réforme du Code de la Route

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Victor Ginsburgh

Le Secrétaire d’Etat à la Mobilité nous annonce un nouveau code de la route, 216 pages comptant 540 obligations que nous devrons apprendre par cœur tout en vidant notre cerveau de l’ancien code, puisque le nouveau s’accompagnera de panneaux de signalisation inédits. En effet, dit le projet, à moins que ce ne soit le Secrétaire d’Etat: « Ces dernière années, on a observé une prolifération des panneaux. Nous voulons maîtriser cette prolifération en ajoutant plusieurs nouveaux panneaux officiels » (1).

Passons rapidement l’éponge sur l’élégante et presqu’invisible contradiction qui consiste « à maîtriser la prolifération en ajoutant des panneaux ». Mais ce serait malvenu de s’arrêter à ce détail, puisqu’en même temps on nous débarrassera des panneaux annonçant la traversée possible de charrettes à bras. Dommage d’ailleurs, un si joli panneau qui rappelle le passé au jeune homme que j’étais à l’époque.

Pour essayer d’en revoir un avant la chasse aux charrettes à bras, j’ai parcouru dans les deux sens les 14,5 Km d’autoroute que je prends souvent, entre Bruxelles et Wavre. Je n’ai pas vu de panneau pour charrette à bras, mais bien un autre panneau tout aussi suranné, puisqu’il annonce depuis au moins 20 ans, et dans les deux sens, que l’aire de stationnement de Maleizen est fermée. On se demande pourquoi ce panneau puisque plus personne ne se rappelle qu’il existait naguère une aire de stationnement à ce nom, et l’aire elle même est invisible puisque envahie par des herbes folles et cachée de la route par de bien jolis buissons. Au moins la nature, pour une fois, gagne la bataille contre les véhicules.

Tant qu’à faire, je me suis mis à compter les panneaux sur le tronçon de 14,5 Km que l’on peut prendre à 120 Km/H, dans le sens Wavre-Bruxelles. Il y en a un total de 145 (y compris celui de Maleizen) ce qui fait exactement dix par kilomètre, ou encore un toutes les quatre secondes. Je vous garantis qu’il est dangereux de les compter, mais sûrement encore bien plus dangereux de les lire si on veut être sûr de respecter le code de la route.

A combien peut-on estimer le coût de ces panneaux ? Il en est de petits, mais il en est aussi d’énormes. A vue de nez, mais je suis sûr que je sous-estime le montant de la facture puisqu’il faut ajouter le coût de leur placement et de leur entretien, 1.000 euros par panneau, soit 145.000 euros.

Vous me direz, le prix d’une vie humaine est bien plus élevé que cela pour le cas où un signal ferait défaut et provoquerait un accident mortel. Bien sûr, sauf si l’automobiliste distrait par les multiples panneaux, se tue au volant, ou si, comme je l’ai fait, il se prend à en compter le nombre et risque sa peau.

(1) RTBF Info, 26.07.2011 (http://www.rtbf.be/info/societe/detail_belgique-nouveau-code-de-la-route-a-partir-de-l-ete-2012?id=6506323)

Là où il y a des gènes, il n’y a pas de mérite

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Pierre Pestieau

Il existe des débats scientifiques dont les retombées politiques sont importantes. Il faut les décoder et lorsqu’il y a des découvertes surprenantes, il convient de déceler la possibilité de conflits d’intérêts. C’est certainement le cas du débat sur le rôle respectif de l’acquis et de l’inné, parfois appelé nature-nourriture par analogie avec les termes anglais nature-nurture. Ainsi en est-il du débat gènes-comportement.

Ce débat est apparu à la une des journaux il y a quelques semaines avec la publication d’une étude (1) dirigée par Nir Barzilai, directeur de l'Institut de la recherche sur l'âge à la faculté de médecine de l'Université Yeshiva, à New York. L’étude concluait que la longévité est davantage liée aux gènes et à l’hérédité qu’aux modes de vie et d’alimentation. Ce résultat est important car, pris à la lettre, il implique un certain fatalisme : à quoi bon faire des efforts souvent pénibles pour vivre longtemps alors que tout est une fonction des gènes. Il peut conduire à une démobilisation tant au niveau de l’individu qu’à celui de la collectivité.

Mais d’abord revenons à cette étude qui a fait l’objet de bien des commentaires dans la presse. Les chercheurs ont mené leur étude sur 477 juifs ashkénazes, âgés de 95 à 122 ans et vivant de façon autonome. Cette population a été comparée à un échantillon de 3 164 personnes nées à la même époque que les centenaires et ayant été examinées entre 1971 et 1975 lors d'une enquête nationale sur la santé et la nutrition. Les résultats montrent que les personnes ayant vécu le plus longtemps ont bu légèrement plus et fait moins d'exercice que la moyenne générale, et suggèrent que les centenaires doivent posséder des gènes de longévité supplémentaires qui leur servent de protection contre les effets nocifs d'un mode de vie peu sain. L’étude a la sagesse de conclure que même si les centenaires peuvent être obèses, fumer et ne pas faire d'exercice, ces modes de vie ne sont guère conseillés à ceux qui ne présentent pas d’antécédents de longévité dans leur famille.

Il est clair que certains individus naissent avec de bons gènes de longévité. Un jour peut-être ils pourront être détectés tôt et cette information pourra avoir des conséquences multiples pour les individus eux-mêmes (épargne, mariage, retraite) et pour les sociétés d’assurance-vie. On notera en passant que les individus disposent déjà d’une certaine information sur leur probabilité de survie, fondée sur l’histoire de la famille, la profession et le style de vie. Certaines études indiquent que la corrélation entre la perception des probabilités de survie et leur réalité est élevée. La question essentielle demeure celle de la responsabilité individuelle et collective. Sommes nous en partie responsable de notre longévité ? La réponse est oui. De combien ? On ne sait pas vraiment. Les estimations aboutissent à des chiffres qui varient entre 30 et 50%.

En Belgique, on observe un écart croissant entre la longévité des Flamands et des Wallons. Il est difficile de l’attribuer à des facteurs héréditaires. En revanche, toute une série de facteurs liés au style de vie et à l’environnement différentient les deux régions. Or nous sommes individuellement et collectivement responsables de ces facteurs. Une politique plus proactive de santé publique ou un contrôle plus sévère de la pollution urbaine, une alimentation plus saine et davantage d’exercice physique pourraient permettre à la Wallonie de combler cet écart embarrassant.

(1) Swapnil N. Rajpathak, Yingheng Liu, OritBen-David, SarithaReddy, Gil Atzmon, Jill Crandall and NirBarzilai, Journal of the American Geriatrics Society, August 3, 2011.