samedi 25 juin 2011

Sus aux gaspis

Pierre Pestieau

Notre vie politique comme les hebdomadaires a ses marronniers (1), des thèmes récurrents sur lesquels tel ou tel homme politique se fait mousser l’instant d’une semaine. Dans cette catégorie, on peut mettre les diverses manières de faire de l’argent à faible coût avec les expressions toutes faites du genre « Faire mieux à moindre coût », la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, le bénévolat, la réduction du travail au noir et enfin la légendaire chasse aux gaspis. Non pas que je sous-estime l’importance de ces questions surtout dans une période où nos Finances Publiques subissent de plein fouet les effets de la crise. Ce que je trouve agaçant c’est que ces thèmes sont trop souvent évoqués par la droite et pas assez par la gauche. Car pour paraphraser Valery Giscard d’Estaing, la gauche n’a pas le monopole des gaspis (2).

Aux Etats Unis, les « travaux inutiles » proviennent le plus souvent de décisions décentralisées (au niveau des états ou des communes) et ont pout but essentiel de faire plaisir à l’électorat local. Le plus bel exemple est sans nul doute le Gravina Island Bridge, rapidement appelé le Pont vers nulle part (Bridge to Nowhere). Il s’agissait d’un projet de pont qui aurait remplacé le ferry reliant, en Alaska, la ville de Ketchikan et Gravina Island, une île qui, outre quelques dizaines d’habitants, abrite l’Aéroport International de Ketchikan. Le projet était littéralement pharaonique et inutile; il ne fut pas achevé mais coûta néanmoins une fortune aux contribuables américains. Il était soutenu par des politiciens républicains et reçut pendant la dernière campagne de 2008 l’appui temporaire de Sarah Palin.

Le Américains appellent ce type de pratique « Pork-barrel policy » (pork-barrel désigne un tonneau dans lequel le porc est conservé). Le Canadiens traduisent cette expression par « politique de l’assiette au beurre ». Des sommes énormes sont engouffrées chaque année dans ces pratiques qui ne sont ni de droite ni de gauche mais sont d’autant plus fréquentes qu’il n’y a pas d’alternance politique et que l’argent vient d’ailleurs, le plus souvent du gouvernement central.

Certains gaspis belges furent popularisés dans l’émission de Jean Claude Defosset « Les Travaux Inutiles ». Identifier des travaux et en trouver la sourceincompétence, corruption ou pork-barreln’est pas évident. Il est plus facile de qualifier un bout d’autoroute qui ne mène nul part de travail inutile que d’utiliser le même terme pour la nouvelle gare des Guillemins-Calatrava (3), dont personne ne met en doute les qualités esthétiques mais chacun se pose des questions sur sa pertinence économique et son gigantisme. Il faut du courage pour arrêter un projet, beaucoup plus que de mener jusqu’au bout une idée qui finira par s’avérer inefficace.

(1) Selon le Petit bréviaire du parfait journaliste débutant, « tout sujet récurrent qui fournit à intervalle régulier une info inintéressante au possible, mais vraiment pas épuisante à glaner (la rentrée des classes, le baccalauréat, les embouteillages du week-end, les « plages » en ville, les sports d’hiver, les universités d’été des partis politiques) ». http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article1365

(2) Je pense particulièrement à l’interview du Président du Mouvement Réformateur dans Le Soir des 28 et 29 mai 2011.

(3) Lors de l’inauguration à grand frais de cette gare les journalistes et responsables politiques ont souvent utilisés l’adjectif « pharaonique » témoignant ainsi d’une lucidité remarquable et sans doute inconsciente. Je ne pouvais pas ne pas penser à la Côte d’Ivoire et à la basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro, construite au milieu de nulle part. Son apparence et sa taille rappellent la basilique de Saint-Pierre à Rome. Le livre Guinness des records l'a reconnue en 1989 comme le plus grand édifice religieux chrétien au monde.

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