samedi 25 juin 2011

Obstination unilingue

Victor Ginsburgh

Un article paru récemment dans le New York Times (1) décrit les recherches d’une neuropsychologue canadienne, Ellen Bialystok, qui étudie depuis plus de 40 ans les langues, et en particulier, le bilinguisme.

Certaines de ses découvertes sont étonnantes. Ainsi, lorsqu’on demande à des enfants de 5 à 6 ans si des phrases, telles que « les pommes se développent sur les nez » sont grammaticalement correctes, les unilingues répondent que « c’est une phrase stupide » alors que les bilingues expliquent (à leur manière) que « c’est une phrase stupide mais grammaticalement correcte ».

La raison est qu’il existe dans le cerveau un système de contrôle qui fait office de « manager ». Il permet de garder en tête plusieurs choses simultanément et de passer rapidement de l’une à l’autre. Chaque fois qu’un bilingue parle, les deux langues sont activées et son cerveau doit trier et s’intéresser à ce qui est le plus important dans le contexte du moment. Dès lors, les bilingues utilisent davantage le « manager » que les unilingues, ce qui rend leur système de pensée plus efficace et leur permet de gérer mieux des tâches simultanées.

L’imagerie médicale a aussi montré que les multilingues utilisent des zones différentes du cerveau que les unilingues pour résoudre des problèmes (pas nécessairement liés au langage) et qu’ils réagissent plus rapidement. Ceci semble être la conséquence d’un « câblage » différent des circuits nerveux chez les uns et les autres.

Mais il y a aussi des effets inattendus du bilinguisme sur la santé. Lors du vieillissement, le système cognitif des bilingues fonctionne différemment de celui des unilingues et les premiers exécutent mieux les tâches qui leur sont demandées. C’est ce qui a amené l’équipe de recherche d’Ellen Bialystok à s’intéresser à des adultes dont le système cognitif fonctionnait de façon anormale, en particulier ceux qui étaient atteints de la maladie d’Alzheimer. Elle a découvert qu’en moyenne, les symptômes de cette maladie se développent 5 à 6 ans plus tard chez les bilingues que chez les unilingues, ou plus exactement, les bilingues peuvent continuer à fonctionner de façon « normale » plus longtemps.

Je m’abstiendrai de faire ici des commentaires relatifs à la situation de la Belgique francophone — ces commentaires ne seraient d’ailleurs pas très différents de ce que je pourrais écrire à propos d’autres pays peuplés d’unilingues obtus comme la France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. Pour ce qui concerne la Belgique, ceux qui sont intéressés peuvent consulter la référence (2). Aux avantages directs du bilinguisme qui y sont décrits, il faut maintenant ajouter que le système de pensée des bilingues est plus efficace, leur permet de gérer mieux des tâches simultanées et que le bilinguisme retarde l’apparition des maladies cognitives telles que la maladie d’Alzheimer.

On peut trouver regrettable que les bilingues doivent payer les soins de santé des vieux unilingues. Mais il est aussi vrai que si ces derniers décèdent plus vite, il y a des gains pour le système de retraites. Il faudra peut-être envisager des transferts entre soins de santé et retraites…

Un problème qui devrait intéresser le prochain gouvernement !

(1) Claudia Dreifus, The bilingual advantage, New York Times, May 30, 2011. http://www.nytimes.com/2011/05/31/science/31conversation.html

(2) Victor Ginsburgh et Shlomo Weber, La connaissance des langues en Belgique, in M. Castanheira and J. Hindriks, eds., Réformer sans tabous, Dix questions pour la Belgique de demain, Bruxelles: De Boeck, 2007. Disponible sur http://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2007-1-page-31.htm

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