samedi 21 mai 2011

Les Belles Américaines

Pierre Pestieau

Dans le même journal distribué gratuitement à Washington, deux nouvelles apparemment indépendantes. Un médecin y suggère que l’homme pourra vivre quasiment éternellement dans un futur rapproché. Tous les éléments dont son corps est constitué seront remplaçables. Un peu comme ces voitures américaines du début des années 50, appelées familièrement les « Belles Américaines » qui continuent de rouler à Cuba sans qu’il ne leur reste une seule pièce d’origine.

Autre nouvelle : la mort à 110 ans de Claude Stanley Choukles à Perth en Australie. Ce serait, nous dit le journal, le dernier ancien combattant de la guerre 14-18, la der des ders, comme on l’a cru pendant 20 ans. Il était donc né en 1901 et avait 17 ans en 1918. Un rapide calcul pourrait nous donner à penser que le dernier des anciens combattants de la seconde guerre mondiale devrait mourir à 116 ans puisque la longévité s’est accrue d’environ un an tous les 4,5 ans et le dernier vétéran de la guerre du Vietnam à 122 ans si l’on suit le même raisonnement. Et celui de la guerre d’Afganistan à supposer qu’elle se termine l’an prochain, à 131 ans. C’est possible mais peu probable.

Il faut en effet distinguer espérance de vie et longévité maximale. Si nous vivons en moyenne de plus en plus longtemps, c’est en grande partie parce que la mortalité des plus âgés a diminué, suite au progrès sanitaire et médical, au style de vie,… La montée spectaculaire de l’espérance de vie au siècle passé reposait avant tout sur la baisse de mortalité des enfants et des jeunes adultes. Puis, à partir des années 1970, la lutte contre les maladies cardio-vasculaires et les progrès dans le traitement des cancers a fait reculer la mortalité des personnes âgées, augmentant ainsi les chances de devenir centenaire.

Deux questions restent cependant ouvertes : (a) jusqu’où peut-on baisser la mortalité aux très grands âges, c’est-à-dire, au-delà de 85 ans et (b) peut-on relever la limite maximale de la vie humaine, dont on se sait rien si ce n’est que dans les faits personne n'a vécu plus de 122 ans (1),(2) ? Dans le doute, la prudence s’impose et les analogies avec la mécanique automobile voire même la robotique sont dangereuses. Et puis, est-ce tellement souhaitable (3) ?

(1) Et encore. L’écart entre l’âge auquel est morte Jeanne Calment et celui atteint par les autres grands centenaires a conduit certains à mettre en doute l’authenticité de cet « exploit ».

(2) Jeanne Calment est une française, née le 21 juillet 1875 en Arles et morte le 4 août 1997 dans la même ville à l'âge de 122 ans, 5 mois et 14 jours (elle a vécu 44 724 jours). Elle survécut 55 ans à son mari (mort en 1942), 2 ans à son notaire auquel elle avait vendu sa maison en viager et 107 ans à Vincent van Gogh auquel, à l’âge de 13 ans, elle aurait vendu des toiles dans la boutique de son père.

(3) Ceci nous renvoie à la nouvelle de Borges, « L’immortel », consacrée à la vanité de la quête de l'immortalité alors que ce qui motive chacun de nous est de se savoir mortel. Un Romain qui a servi dans les armées de César trouve un fleuve qui lui donne l'immortalité, puis passera des siècles à chercher le ruisseau qui pourra le rendre à nouveau mortel. Cette nouvelle, d’abord publiée dans Los Anales de Buenos Aires, vol. 2, no 12, février 1947, sous le titre « Los inmortales », fut reprise dans un recueil de nouvelles Aleph, Gallimard, Paris, 1966.

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