dimanche 20 mars 2011

Le Patron des Patrons Belges et les Agences de Notation

Victor Ginsburgh

Je ne pense pas qu’il faille en dire très long sur le patron des patrons belges, sauf qu’il est le patron des patrons, ce qui le décrit suffisamment (1). Mais quelques mots sur les agences de notation peuvent être utiles. Ces « officines » notent des firmes qui veulent émettre certains types d’obligations en levant des fonds dans le grand public. La notation est faite à la demande de la firme pour évaluer la probabilité de succès (ou de faillite) de leur entreprise. Une bonne note permettra à la firme de placer plus aisément son emprunt auprès des banques et des autres investisseurs. Tout en étant censées donner des avis « indépendants » les agences sont payées par les firmes qui requièrent leurs services. Il va sans dire que cela peut entraîner des conflits d’intérêt et les trois grandes agences qui contrôlent 94% du marché (Standard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody Investors Service), comme les moins grandes d’ailleurs, ont souvent été accusées d’avoir des relations « trop étroites » avec la direction des firmes qu’elle doivent évaluer.

Les trois grandes agences ont aussi implicitement obtenu l’aval des gouvernements et leurs évaluations se sont étendues à des emprunts publics à l’échelle régionale et nationale. L’effet qu’une notation peu favorable peut avoir sur la dette publique d’un pays est d’en augmenter la charge d’intérêt. C’est ce qui est arrivé récemment suite à la débâcle économique notamment en Grèce, en Irlande au Portugal et en Espagne.
Voici ce qui m’amène au titre de l’article…

Dans un article du New York Times du 23 avril 2010, j’ai appris comment « les agences de notation ont aidé Wall Street dans leurs deals ». Le titre de l’article suffit, mais les détails sont intéressants. Les banques de Wall Street auraient eu accès aux formules qui sont à la base des notations, et ont embauché ceux qui les produisaient. Ce qui a permis à ces mêmes banques de bricoler leurs données pour améliorer leurs notes.

J’ai aussi lu dans le New York Times du 2 mai 2010, sous le titre « A propos des agences de notation » que tout un chacun, à l’exception des banques de Wall Street, est outré par lesdites banques. Elles ont en effet engrangé des milliards de dollars en inventant des mécanismes complexes d’hypothèques foireuses, et ont fini par nous refiler leurs pertes quand elles se sont trouvées le ventre à l’air. Mais rien n’est dit des milliards engrangés par les agences de notation qui accordaient des triple A à la plupart de ces produits financiers véreux.

J’ai enfin lu dans le New York Times du 12 mai 2010, sous le titre « Les tribunaux se demandent si les huit banques ont trompé les agences de notation », que le procureur général de New York a commencé à investiguer si les huit grandes banques américaines ont berné les agences de notation et si elles savaient que les notations que leur donnaient Standard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody Investors Service, étaient exagérément optimistes.

Mais, pourquoi prendre la peine de raconter tout cela ?

Parce que… j’ai aussi lu dans La Libre du 5-6 février 2011, sous le titre « Le patron des patrons met Yves Leterme au pied du mur », que suite à la question posée par un journaliste « Faut-il craindre une réaction négative des marchés [si le gouvernement belge ne mettait pas en œuvre l’AIP (2)] », M. Leysen, ledit patron des patrons répond : « Indubitablement. L’agence Moody’s a déjà dit que l’absence d’un AIP entrerait en ligne de compte dans sa décision finale de revoir éventuellement la note de la dette belge ».

Pas que je sois particulièrement contre le projet d’accord, mais qu’il faille pour le faire accepter, s’en référer à Moody’s dont on sait qui sont les experts qui y (man)œuvrent, me paraît énorme.

(1) Une version légèrement différente a paru dans la revue Politique dans son numéro 69, mars-avril 2011.
(2) C’est-à-dire le projet d’accord social refusé par la CGSLB et la FGTB.

1 commentaire:

  1. Victor
    Toujours un plaisir de te lire. juste un commentaire. Il faut distinguer dette privée et dette publique. les conflits d'intérêts des agences de notation sont moins clairs pour la dette souveraine. En fait chaque fois q'un état a obtenu un "junk rating" il a fait défaut dans l'année (on peut évidemment discuter de la causalité inverse)
    jean Hindriks

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